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et, l’ayant abordé, se met à causer avec lui de ses leçons pour l’école et des autres petites choses qui font sa vie ; mais le vieillard ne l’écoute que d’un air indifférent et fatigué : « Ne me connais-tu donc pas ? » interroge soudain l’enfant, levant un regard anxieux sur le vieillard, qui abaisse alors lentement vers lui ses yeux éteints, et secoue tristement la tête ; l’enfant, alors, soupire, et puis s’éloigne ; et le vieillard, de nouveau seul, reprend sa marche mélancolique : « Pauvre vieillard, le printemps t’avait envoyé ta jeunesse, et tu ne l’as pas reconnue ! » — Par cette simple phrase de la fin, le poète projette tout d’un coup une vive lumière sur tout ce qui précède, et éclaire d’un jour agrandi et transfiguré le gracieux tableau, emprunté à la vie courante, qu’il venait déjà de nous présenter avec assez d’art pour captiver notre attention.

Les poèmes de MM. Scheerbart et Remer sont écrits en prose poétique. Un certain nombre des écrivains que j’ai nommés ont aussi employé pour leurs poèmes la prose avec les vers, par exemple M. Bierbaum, dans ses Poèmes vécus, et aussi parfois MM. de Liliencron, Falke, Dehmel, etc. Cette observation nous amènerait à examiner comment les nouveaux poètes allemands jugent la question de la forme dans la poésie. Je n’entrerai cependant là dans aucun détail, car les principes des métriques allemandes n’ayant rien de commun avec les principes de nos propres métriques, à cause de la différence fondamentale de constitution syllabique des mots dans les deux langues, il faudrait, pour être clair, commencer par examiner ces différences, et un tel examen ne rentre pas dans le cadre de cette étude. Je me contenterai donc de signaler d’une façon générale le courant qui porte les nouveaux poètes à rejeter de plus en plus, en tout ce qui concerne la forme, les règles qu’acceptèrent leurs devanciers. La tâche leur est d’ailleurs facilitée par le fait que les plus grands poètes de l’Allemagne, les Goethe et les Heine, ont eux-mêmes quelquefois abandonné toute règle pour adopter le vers libre, et qu’ils ont fait de tout aussi belle poésie avec le vers libre qu’ils en avaient fait avec les rythmes grecs ou avec les vieilles formes allemandes. Beaucoup de jeunes poètes estiment qu’il est temps de libérer définitivement la poésie de toute forme conventionnelle, si motivées qu’aient pu être en leur temps les conventions qui s’étaient fait accepter par le plus grand nombre ; et ils croient indiquer mieux, par le rejet de ces conventions, que la forme doit seulement être un moyen, et non pas un but. Aussi vont-ils facilement des anciennes formules rythmiques les plus rigides, et en passant par le vers libre, jusqu’à la prose poétique, quand ils en jugent utiles, et par-là nécessaires, la souplesse et la fluidité. Ils sont