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la nécessité où s’est trouvé l’ami de Mgr Talbot de recourir à un intermédiaire plus dévoué qu’éclairé pour faire arriver jusqu’à Pie IX les informations et les jugemens qu’il croyait utiles. Quand on voit l’usage que les adversaires faisaient de leur influence sur le collège de la Propagande et le cardinal Barnabo, on ne saurait contester la légitimité des moyens de défense mis en œuvre par Manning. Il ne faut pas croire en effet que la cause de l’archevêque ou celle de l’ultramontanisme fut toujours et facilement triomphante. Au contraire elle avait affaire à forte partie et elle subit bien des échecs, surtout d’intolérables délais. Si Pie IX, après quatre ans de lutte, finit par évoquer l’affaire du coadjuteur et par la trancher par un colpo di stato di Dominidio en exigeant de Mgr Errington, déjà privé de ses fonctions d’assistant, la renonciation à son jus successionis, le cardinal fut battu sur plusieurs points essentiels, comme son droit d’inspection sur les séminaires diocésains en qualité de métropolitain. Manning fut enveloppé dans la défaite infligée à son chef sur la question de l’emploi des prêtres de la communauté des Oblats de Saint-Charles, qu’il avait fondée, au séminaire de Saint-Edmond. C’était là l’œuvre qui lui tenait le plus à cœur. Pendant huit ans, il vécut dans la maison de Bayswater, où il avait débuté modestement en 1857. Il y subit de cruelles épreuves, il y livra de rudes combats : ce n’en furent pas moins, il l’écrivait en 1875, les huit plus heureuses années de sa vie. Son nom était resté inscrit sur la porte de sa chambrette, et le cardinal-archevêque de Westminster aimait parfois à s’y retirer.

Au reste, pendant cette période de luttes, il n’avait jamais senti défaillir son courage. Il avait dans l’autorité du Saint-Siège une confiance robuste, imperturbable, qui ne se distinguait pas aisément de sa foi. Elle en avait les qualités morales, elle en rendait le son plein et pur. Aussi bien, chez Manning, cet ultra-montanisme qu’on lui a tant reproché, bien loin d’appartenir au domaine de la politique, même ecclésiastique, et du contingent, était le fruit même de sa piété, de ses convictions lentement élaborées, de ses expériences religieuses. L’homme qui a pu écrire ces lignes, destinées aux seuls yeux d’un confident intime : « La vérité, la vérité qui m’a seule sauvé, c’est l’infaillibilité du vicaire de Jésus-Christ, en tant que forme unique et parfaite de l’infaillibilité de l’Eglise, et par conséquent de toute foi, de toute unité et de toute obéissance », cet homme a pu se tromper ; il n’a point adopté ces théories pour flatter un souverain pontife de qui dépendait sa carrière.

Chez lui, on ne saurait trop le répéter, l’ultramontanisme ne fut que le dernier terme, l’issue logique d’un développement de