Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 135.djvu/411

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

liberté des cabinets, a déclaré que « cette petite rousse » était « sarmante ».

On était revenu à Versailles pour les derniers préparatifs avant le voyage de Choisy et le grand voyage annuel de Compiègne, quand, le 8 juillet, un dimanche après les offices, le Dauphin eut avec sa femme une conversation inattendue. Il y avait sept semaines que le mariage avait eu lieu, et aucune intimité n’existait encore entre les époux. Le jeune mari, faisant un grand effort sur lui-même, dit à Marie-Antoinette, avec une émotion qu’elle trouva très douce, qu’il savait très bien les exigences de l’état du mariage et que, s’il avait attendu pour lui témoigner la vivacité de son affection, il lui en donnerait sûrement les preuves à Compiègne. Était-ce la glace de la timidité qui commençait à se fondre dans le cœur du Dauphin sevré, depuis qu’il était orphelin, des joies de la pleine confiance ? Marie-Antoinette, non moins inexpérimentée et non moins isolée que lui, saisit cette occasion de les lui donner et de les obtenir à son tour : « Puisque nous devons vivre ensemble, dit-elle, dans une amitié intime, il faut que nous causions de tout avec confiance » ; et le propos tomba aussitôt sur Mme du Barry.

Alors le prince, pour la première fois de sa vie, parla de l’intérieur de la Cour. Sans jamais en rien dire à personne, il avait deviné et appris bien des choses. Il savait fort bien ce qu’était Mme du Barry, qu’il venait de voir de près aux soupers de Saint-Hubert. N’écoutant que son goût pour la chasse, il avait demandé, le mois précédent, à être des parties que le roi faisait à ce pavillon près de la forêt de Rambouillet ; on y soupait ; Mme du Barry présidait la table avec un sans-gêne choquant et une licence de propos que tout le monde imitait. Ses tantes avaient pris peur de le voir en si mauvaise compagnie, et afin de lui inspirer le dégoût de cette du Barry, elles lui avaient raconté, par le détail, d’où elle sortait et la vie qu’elle avait menée avant de paraître à la Cour. C’étaient des infamies que M. de la Vauguyon ne lui avait jamais laissé soupçonner. Cet éducateur, qui avait toujours à la bouche la religion et les bons principes, n’était donc qu’un hypocrite, puisqu’il engageait son élève à bien traiter cette femme, la visitait, la flattait, la soutenait en toute occasion, aussi plat devant elle que M. d’Aiguillon, qui avait besoin d’elle pour devenir ministre, ou que M. de Richelieu, qui n’avait pas plus de croyances que Voltaire lui-même. Du coup, le jeune homme en avait perdu le respect que lui inspirait son gouverneur ; il le montrait bien maintenant, livrait tout ce qu’il avait sur le cœur, détestait cette Cour où on ne voyait que des méchans, des intrigans, des cupides, des gens qui trompaient le