Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 135.djvu/432

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mercy proteste ignorer des sentimens de la Dauphine si contraires à son caractère, et qui seraient fort injustes pour la belle personne qui les inspirerait. Il met peu à peu la causerie sur un ton de galanterie qu’on devine ; et, tout heureuse de ne pas rencontrer d’hostilité, la Du Barry devient familière, raconte à l’ambassadeur comment elle s’est établie à Versailles, ce qu’elle sait du caractère du Roi, ce qu’elle imagine pour le désennuyer, ce qu’elle pense de tels ou tels gens de la Cour. Jamais peut-être elle n’en a tant dit à un étranger ; mais sa belle-sœur, la surveillante qui la garde à vue pour le compte de M. d’Aiguillon, a été cette fois écartée d’autorité, et sa légèreté la ramène au bavardage aimable et banal qui lui est naturel. C’est un moment de la conversation que M. de Mercy ne racontera pas à Marie-Thérèse, mais dont il compte bien tirer avantage par la suite.

Les confidences sont interrompues par l’entrée du Roi qu’on entend monter le petit escalier. « Dois-je me retirer, Monsieur ? » dit Mme du Barry. Le Roi, qui ne semble aucunement gêné d’être appelé ainsi devant l’ambassadeur, dit en effet qu’il veut être seul et, dès que la favorite est sortie, entame un discours embarrassé, tout d’allusions et de réticences : « Jusqu’à présent, monsieur, dit-il à peu près à Mercy, vous avez été l’ambassadeur de l’Impératrice ; je vous prie d’être le mien au moins pour quelque temps. J’aime Madame la Dauphine de tout mon cœur, je la trouve charmante ; mais étant jeune et vive, ayant un mari qui n’est pas en état de la conduire, il est impossible qu’elle évite les pièges que l’intrigue lui tend. Je sais que l’Impératrice vous accorde sa confiance ; cela me détermine à vous donner la mienne, et je m’en rapporte à vous des soins que vous croirez pouvoir prendre pour surveiller un objet qui intéresse mon bonheur et celui de la famille royale. — Sire, répond Mercy, les préceptes de conduite données à Madame la Dauphine à son départ de Vienne se bornent à deux points, celui d’aimer, de respecter Votre Majesté et de lui marquer obéissance en tout, Sa Majesté Impériale sachant trop ce qu’elle devait se promettre de l’amitié de Votre Majesté dans l’usage qu’elle ferait de son autorité sur Madame l’Archiduchesse. Le second point recommandé a été de chercher à se concilier la tendresse, l’estime et la confiance de M. le Dauphin, de vivre en bonne amitié avec la famille royale et de s’unir à elle pour contribuer au bonheur de Votre Majesté. Si Madame la Dauphine s’est écartée en quelque chose de ce précepte, je crois pouvoir assurer qu’il n’y entre ni projet, ni moins encore de mauvaise volonté, et si Votre Majesté veut bien lui expliquer elle-même ses intentions, il trouvera à coup sûr l’empressement le plus tendre à lui obéir et à lui plaire. »