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C’est riposter avec adresse et parer à la fois de tous les côtés. Le Roi, mis au mur, avoue qu’il répugne à avoir des explications avec ses enfans, mais qu’il remarque chez la Dauphine des préventions, des haines qui lui sont évidemment suggérées ; elle affecte de traiter mal des personnes qu’il admet dans sa société particulière ; sans s’étonner de ses préférences, on lui demande d’accorder à toute personne présentée le traitement que celle-ci est en droit d’attendre ; le contraire donne lieu à des scènes et échauffe l’esprit de parti : « Voyez souvent Madame la Dauphine, conclut le Roi ; je vous autorise à lui dire tout ce que vous voudrez de ma part ; on lui donne de mauvais conseils, il ne faut pas qu’elle les suive. Vous voyez ma confiance, puisque je vous dis ce que je pense sur l’intérieur de ma famille. »

Voilà une confiance embarrassante, bien qu’aucun nom ne soit prononcé, ni celui de Mme du Barry, ni celui de Mesdames ; et M. de Mercy essaie vainement, avec toutes les ressources de sa parole de diplomate, de faire comprendre à Louis XV que ce n’est pas à lui, ministre étranger, que le roi de France devrait s’adresser pour faire savoir à sa petite-fille des choses aussi délicates. Le Roi, de plus en plus gêné, rappelle Mme du Barry et M. d’Aiguillon, qui se tiennent à l’écart dans le passage d’un cabinet de toilette, et la conversation dure encore un peu sur la famille impériale, sur le roi de Prusse, sur la guerre que les Turcs font à la Russie : « Il est tard, dit le Roi, je vais souper avec mes enfans. » Et comme il sort et que Mercy va se retirer, la maîtresse et le ministre insistent pour qu’il revienne souvent, aussi simplement qu’il est venu, causer d’affaires avec le Roi.

Il entre dans les secrets désirs de l’ambassadeur de profiter jusqu’au bout de cette aventure. Déjà même, il est plus avancé qu’il ne l’avoue dans le récit arrangé pour sa souveraine ; il est devenu en deux jours l’ami de Mme du Barry et le confident du Roi, et en marque sa surprise à M. de Kaunitz, avec qui il est plus à l’aise : « Quoique je passe ma vie ici à voir des choses extraordinaires, je ne puis souvent me les représenter que comme des rêves. » Il ajoute que les conversations qu’il a eues avec Mme du Barry lui permettent sur elle un jugement sérieux : « Elle a un assez bon maintien, mais son langage tient très fort de son ancien état. Elle paraît avoir peu d’esprit, beaucoup de sensibilité sur tout ce qui peut tenir aux petites vanités des femmes de son espèce. Elle n’a aucune apparence de penchant à la méchanceté, à la vengeance ou autres passions haineuses ; en sachant s’y prendre, il est très facile de la faire parler, et on pourrait de ce côté-là en tirer parti dans bien des occasions… Tout son désir, c’est que Madame la Dauphine lui adresse une fois la parole. »