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impatientait le plus dans la résistance de cette candeur indignée, c’était le temps qu’elle faisait perdre à leurs combinaisons, les difficultés qu’elle jetait dans leur diplomatie. Que de fois Mercy avait écrit à son chef : « Si Madame la Dauphine était moins légère, moins obstinée dans sa conduite envers la favorite, et quelle voulût me donner un peu de jeu… » Et Kaunitz répondait du même ton ; « Je regarde Madame la Dauphine comme un mauvais payeur, dont il faut se contenter de tirer ce que l’on peut. » Sous une forme moins imagée, mais au fond non moins brutale, Marie-Thérèse elle-même demandait à Mercy d’amener sa fille, « à se mettre sur un pied plus conforme à la situation des affaires et à mes intérêts. » Voilà bien les gages qu’on attend de Marie-Antoinette, ce qu’on lui réclamera plus impérieusement que jamais quand elle sera reine, ce qu’on lui reprochera toujours de ne pas donner assez, alors que tant d’autres voix la dénonceront pour en donner trop. Tout en elle désormais, sa beauté, sa popularité, sa maternité même, devra servir, à l’heure nécessaire, les intérêts de la politique autrichienne.


Il est grand temps, d’ailleurs, que la Dauphine se décide à devenir, pour sa mère et son frère, un agent docile. Voici qu’on a besoin de ses services, lise passe, à l’orient de l’Europe, des événemens fort graves et pour lesquels l’Autriche doit endormir, autant que possible, la vigilance du nouveau cabinet français. Quelque incapable que soit le duc d’Aiguillon, neuf aux affaires, cheminant à tâtons dans les ténèbres des traités et des négociations, il a trouvé sous ses ordres, pour l’avertir, des agens et des commis fort instruits et attachés aux traditions françaises. Il ne peut ignorer, par exemple, l’importance qu’avait en Pologne l’influence de la France et l’appui qu’elle apporte encore à l’indépendance de ce royaume. Choiseul lui-même n’a-t-il pas, à ses heures, soutenu les confédérés polonais, animé le Turc à cette guerre contre la Russie qui contrarie les ambitions de Catherine sur la Dvina ? D’Aiguillon envoie à son tour des subsides à Varsovie ; mais depuis bien des années, et surtout depuis la chute de Choiseul, la France ne compte guère dans les conseils de l’Europe, et c’est son alliée même, l’Autriche, qui va se charger de le prouver. Les troubles intérieurs du royaume de Stanislas-Auguste ont fourni prétexte à ses puissans voisins, Catherine et Frédéric, d’intervenir plus durement que jamais, de resserrer, sur un territoire traité en pays conquis, les cordons de troupes qui garnissent les frontières. Décidés déjà à dépecer la Pologne, ils ont besoin de la complicité de l’Autriche et lui laissent toute liberté de choisir