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rassurait peut-être Joseph II, ne suffisait pas à consoler Marie-Thérèse. Mais, une fois son parti décidé, après la crise d’honnêteté et d’indignation, la femme politique avisée avait reparu, avec ses idées nettes et fermes, toutes dirigées au maintien et à l’honneur de ses couronnes. Du côté de la France, après de brèves félicitations à Marie-Antoinette, toute fière « de contribuer à conserver l’union des deux maisons », elle reprenait ses conseils maternels, plus impérieux que tendres, qui troublaient et intimidaient sa fille. Elle voulait à présent qu’elle écoutât dans les moindres détails M. de Mercy : « La crise politique exige toute votre attention », écrivait-elle à l’enfant comme à un ministre plénipotentiaire. Et Marie-Antoinette, qui pensait à un bal, à un spectacle, à ses promenades à cheval, préféra longtemps livrer la direction de ses actes à M. de Mercy plutôt que d’écouter de trop longs développemens sur la « crise politique ».

Il lui en coûtait cependant de plier ainsi contre sa nature et les secrets instincts de sa conscience. À mesure que les difficultés disparaissaient du règlement des affaires d’Orient, elle sentait moins l’obligation de se faire violence pour des intérêts aussi peu précis pour elle. Elle avait fini, d’ailleurs, par juger Louis XV avec cette sévérité sans nuance de la jeunesse, qui entrevoit les vices dans leur horreur sans être portée à les excuser. Il a perdu son prestige à des yeux qui le voient à présent tel qu’il est en réalité, indifférent, égoïste, « avec un détachement général de tout sentiment qui peut intéresser l’âme et la rendre sensible ». C’est le jargon du temps, qu’il est facile de traduire en clair langage : Marie-Antoinette ne respecte plus, n’estime plus le caractère de son grand-père, et les grands mots de devoir filial, d’autorité royale n’obtiendront rien sur ce nouvel état d’esprit. M. de Mercy, effrayé, avoue à sa maîtresse que « Madame la Dauphine n’a que trop de perspicacité à s’apercevoir de certaines choses », et qu’il est plus prudent avec elle de ne pas user de mauvaises raisons ; tout ce qu’on peut souhaiter d’obtenir, c’est que sa réflexion ne s’appesantisse pas sur ces dangereux sujets.

Ce changement dans les jugemens de Marie-Antoinette la ramène inévitablement à son indépendance de conduite. Le retour est facile à suivre dans les derniers temps du règne, où, sous des apparences dociles, elle ne prend plus des injonctions maternelles que ce qu’elle veut. Elle consent bien, parce que cette faveur ne lui coûte pas, à désigner l’amie de la favorite, la maréchale de Mirepoix, pour la suivre à la revue du Régiment-Dauphin ; mais elle se refuse à adresser la parole à M. d’Aiguillon, chaque fois que l’ambassadeur lui demande cette attention. Ses