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de tirades pareilles lues dans Angelo, tyran de Padoue. En fait, la Rome de M. Zola n’est que la Venise romantique, la congrégation de l’Index y tenant lieu du Conseil des Dix et les jésuites faisant fonction de sbires. Certes, nous n’ignorions pas qu’il se nouât beaucoup d’intrigues dans le voisinage du Vatican ; et même, qu’il y eût autour d’un pape de quatre-vingt-six ans d’ardentes compétitions et des convoitises de candidats impatiens, cela ne nous semblait pas très étonnent. Mais ce que nous ne savions pas, avant que M. Zola, renseigné à de bonnes sources, ne fût venu [nous l’apprendre, c’est le rôle que joue le poison dans les élections pontificales. Combien de cardinaux morts jeunes et dont la mort ne fut pas naturelle ! « Vous êtes tous empoisonnés, Messeigneurs !… » Et longuement M. Zola nous conte une histoire d’empoisonnement par les ligues, qui n’est qu’une variante de ce thème littéraire si connu et d’emploi si facile : empoisonnement par les gants, dans un verre d’eau ou dans un verre de tisane, par une drogue, par une poudre, par un parfum.

Sur cette histoire d’empoisonnement se greffe une histoire d’amour. Comme on le devine, elle ne pouvait être « quelconque » ; il la fallait assortie au milieu. On ne fait pas l’amour en Italie comme au Spitzberg ou chez les Lapons. C’est ici de l’amour pour pays chauds. Il est de toute nécessité que cela flambe. Il faut à toute force du lyrique, du passionné, de l’emporté, de l’envolé, de la volupté impudique et de l’impudeur chaste. Voyez Stendhal. Ce chapitre, qui aussi bien s’imposait, est celui des amours de Dario et de Benedetta. Cette charmante Benedetta, ayant épousé un homme qui lui déplaît, s’est refusée à lui ; maintenant elle poursuit devant la Cour de Rome l’annulation de son mariage pour impuissance du mari. Le mariage a-t-il été réellement consommé ? et, s’il ne l’a pas été, d’où et de qui est venu l’empêchement ? Question savoureuse et sur laquelle on peut se fier à M. Zola pour avoir complaisamment et pesamment traîné notre imagination. Jusqu’ici il n’y a encore ni ombre de drame ni soupçon de lyrisme. Mais c’est à quoi il sert d’avoir la cervelle inventive. M. Zola s’avise de faire manger par Dario les figues assassines. Ces figues ne lui étaient pas destinées ; ç’a été une erreur, ou plutôt c’est la Fatalité. Le poison agit avec une rapidité foudroyante. Dario agonise. C’est alors que les assistans, plus émus que surpris, purent voir Benedetta se dévêtir tranquillement et, s’étant couchée auprès du moribond, lui faire don tant bien que mal d’une virginité qu’elle lui avait précieusement gardée. Après quoi tous deux meurent d’une même pâmoison. Avouez que cela n’est pas banal ! Violemment nous nous sentons transportés hors de la médiocrité moderne vers une humanité de Décaméron. Cela est tout à fait « genre Renaissance ». C’est ce qu’on appelle, dans le langage de l’ébénisterie, du meuble de style.