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commencer : à cet aventurier de terre et de mer, à certain Gauthier de Brienne qui l’avait arrachée à son temple, à sa déesse, à ses compagnes, et traînée de Grèce en Italie, à Florence par lui conquise et asservie. Plus que jamais farouche, la vierge résistait désespérément au tyran et cherchait sa vengeance. Elle la trouva dans le fils même du ravisseur. C’est de lui, c’est de Jean qu’elle souhaita l’amour, se promettant d’ailleurs de n’y jamais répondre… Et le reste se devine. Forte contre le père et d’abord aussi contre l’enfant, Hellé succombe pourtant en ce deuxième et trop cruel effort. Entre les bras du jeune homme elle oublie enfin sa déesse. Le père surprend les coupables, les maudit ; ils s’enfuient et meurent ensemble : l’une de son remords sacerdotal, l’autre, d’avoir vu la bien-aimée mourir.

On a généralement jugé médiocre, — et j’ai peur qu’on ait bien jugé, — la partition de M. Duvernoy. Mais on a fondé ce jugement sur des raisons contre lesquelles il est permis de protester et de s’inscrire. Raisons de doctrine, de théorie et de prétendus principes ; en réalité raisons de système et d’un système étroit autant qu’arbitraire. Œuvre médiocre, dites-vous, parce qu’elle n’est pas un drame lyrique, mais un opéra ; parce qu’elle s’éloigne, à reculons, du type ou de l’idéal qui prévaut aujourd’hui, et qu’à vous entendre, toute musique de théâtre sera désormais selon cet idéal ou ne sera pas. Voilà la prétention exorbitante et l’insupportable tyrannie.

Elle s’autorise en vain de la réforme wagnérienne et de l’esprit nouveau. Lorsque l’éternel Esprit descendit autrefois sur les hommes, ce fut pour leur révéler toutes les langues et non pour leur en imposer une seule. On croit trop, ou du moins on veut trop faire croire ‘que Wagner a créé la forme, la catégorie désormais unique du drame musical. Le maître de Bayreuth a modifié prodigieusement certains rapports essentiels, c’est-à-dire certaines lois de son art ; il n’a pas le premier et pour jamais, établi les) lois. Différens et, si l’on veut, [opposés, d’autres rapports, [qui préexistaient jadis, peuvent coexister encore avec ceux que Wagner a établis.

On s’est demandé, pendant les entr’actes d’Hellé, pourquoi l’œuvre était impuissante à nous charmer. Les uns, accusant le poème, oubliaient que la musique est accommodante, et que de pauvres livrets ont suffi à d’immortelles partitions. D’autres, — les plus nombreux, — reprochaient au compositeur sa résistance, ou sa réaction contre les procédés et les formules hors desquelles on ne voit plus aujourd’hui de salut. Eh quoi ! , pas de leitmotive, pas de mélodie infinie, aucun asservissement des voix à l’orchestre, nul développement de thèmes par la symphonie ! « Voilà, criait-on à M. Duvernoy, pourquoi votre fille est muette. Voilà pourquoi votre musique ne nous dit rien. » — Ils oubliaient, ceux qui parlaient ainsi, tant de chefs-d’œuvre exempts