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qu’il ne faut pas confondre avec le leitmotiv — y est pratiqué ; mais c’est le rappel des motifs d’autrui. Presque jamais la pensée du compositeur n’est assez forte pour qu’il s’affranchisse d’une influence et s’abstienne d’une citation.

On alléguera l’inanité d’un semblable reproche, et que tout est dans tout. On répondra que les plus authentiques chefs-d’œuvre, voire les plus personnels, offrent des exemples, parfois singuliers, de réminiscences inattendues et formelles. L’auteur d’une étude récente ; sur ce sujet a pu signaler de curieuses rencontres entre des pages de musique ancienne ou moderne : entre un chœur célèbre de la Passion selon saint Mathieu de Bach et le scherzo du Songe d’une nuit d’été de Mendelssohn ; entre le couvre-feu des Huguenots et le thème de la huitième fugue du Clavecin bien tempéré ; entre la cavatine de Faust et le motif principal de l’adagio du concerto en ut mineur de Beethoven[1]. Nous-même, il y a peu de jours, écoutant M. Van Wœfelghem jouer sur la viole d’amour un menuet d’un certain Milandre ( ? ), nous y avons trouvé le point de départ du finale de la symphonie en ré de Beethoven. — Oui, mais le point de départ seulement. L’important, c’est que de deux motifs analogues, identiques même, naissent deux œuvres et deux impressions différentes. Il ne faut rien emprunter que pour le transformer et le faire sien. M. Duvernoy manque malheureusement de l’énergie et de la personnalité nécessaires à cette appropriation. Il reflète, il n’absorbe pas. A son foyer ne brûle pas la flamme où les élémens étrangers se fondent en un métal nouveau qui rendra des sons inconnus.

L’écrivain que nous citions plus haut distingue avec raison deux sortes de réminiscences : les réminiscences de procédés, — il entend par-là les analogies de système ou de plan général, de composition ou de conception esthétique — et les réminiscences d’idées, c’est-à-dire de mélodie, d’harmonie ou d’instrumentation. À cette seconde catégorie appartiennent les réminiscences d’Hellé. Non seulement elles sont nombreuses, mais elles sont en quelque sorte multiples et comme à double, triple ou même quadruple percussion. Elles éveillent dans la mémoire des groupes ou des familles d’images sonores, et toujours avec un souvenir principal, toutes les harmoniques de ce souvenir. Au premier acte, certaine imprécation d’Hellé rappelle en même temps le premier motif de la Fonte des Balles dans le Freischütz et tel motif sinistre de Lohengrin, à la fin du duo d’Ortrude et de Telramund. Quanta l’agréable cantilène, si purement soupirée par Mme Caron toute blanche dans la nuit bleue, qui dira ce qu’elle doit aux stances du

  1. Voir la brochure de M. Jean Hubert : Des réminiscences. De quelques formes mélodiques particulières à certains maîtres ; Paris, Fischbacher, 1895.