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communes, il a été un peu plus communicatif. Il n’a pas hésité à condamner la conduite de M. Cecil Rhodes, mais avec combien de circonstances atténuantes ! M. Cecil Rhodes a souffert, a-t-il dit, « de la suprême défaillance des nobles natures » : son patriotisme l’a entraîné. Il a été coupable, sans doute ; mais ce n’est pas une raison pour oublier les immenses services qu’il a déjà rendus, et surtout pour se priver de ceux qu’il peut rendre encore. « Sans des hommes comme celui-là, s’est-il écrié, l’histoire de l’Angleterre serait moins brillante, et les possessions britanniques seraient beaucoup moins vastes. » Ce sont des choses qu’on peut penser ; mais on hésite d’ordinaire à proclamer en langage officiel que la grandeur d’un pays repose trop souvent sur la fraude et sur la violence. M. Chamberlain n’a pas reculé devant cette confession publique. Pour être, de notre côté, tout à fait francs, nous comprenons fort bien que, dans les circonstances actuelles, le gouvernement anglais ne veuille pas sacrifier M. Cecil Rhodes, car il a grand besoin de lui ; mais M. Chamberlain aurait pu le dire avec moins de détours, et en employant des argumens plus simples et plus modestes. Ce qui déplaît le plus dans la politique anglaise, c’est le pharisaïsme dont elle s’enveloppe : nous avons de la peine à nous y faire sur le continent européen. En veut-on un exemple ? Un ministre français, ou allemand, ou autrichien, ou russe, ou même italien, aurait pu employer, en y mettant plus de rondeur, quelques-uns des argumens dont s’est servi M. Chamberlain. Il en est un pourtant qui ne serait jamais venu à son esprit. Le voici, sous la forme semi-biblique dont M. Chamberlain l’a revêtu : « Que ce soit, a-t-il dit, en qualité d’administrateur ou d’actionnaire, la place de M. Rhodes en ce moment est dans l’Afrique du Sud : c’est seulement là qu’il pourra le mieux expier sa conduite passée. » Cette nécessité d’une expiation, d’une régénération morale, qui ne peut être pleine et entière que dans l’Afrique du Sud, est une trouvaille sui generis dont il faut laisser le mérite à M. Chamberlain ; elle a quelque chose d’original et de vraiment imprévu. Tout en admirant son ingéniosité, nous nous demandons si elle inspirera une confiance absolue à M. Krüger, et il semble bien que M. Chamberlain lui-même ait eu certains doutes à cet égard : il s’est empressé d’ajouter, qu’au surplus, les mesures prises par le gouvernement mettaient M. Cecil Rhodes « dans l’impossibilité de se livrer dans l’avenir à des actes nuisibles. » Ah ! tant mieux. Pas un seul homme armé, a-t-il assuré, ne pourra bouger sans la permission du gouvernement anglais. Il est donc bien établi que, si M. Cecil Rhodes ou quelque Jameson encore ignoré veulent organiser une nouvelle invasion du Transvaal, ils ne pourront le faire qu’après avoir demandé la permission du gouvernement britannique, formalité qu’ils avaient négligé d’observer la première fois. M. Chamberlain ne met pas en doute que des garanties aussi sérieuses, et, comme il le dit,