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par lesquels on est toujours un peu trop disposé à juger uniquement une cour et un temps ; mais, peut-être à cause de cela même, son nom a échappé à l’histoire. Entre les deux figures également brillantes de sa fille et de sa mère, entre la duchesse de Bourgogne et Madame, elle apparaît comme apparaîtrait dans une galerie de portraits, entre un Rigaud et un Nattier, quelque pastel aux pâles couleurs. Cependant elle a trouvé un biographe. Inutile de dire que ce biographe est une femme, car il fallait le cœur d’une femme pour s’éprendre d’une aussi humble héroïne. Aux deux volumes que Luisa Sarredo a fait paraître en 1887 nous emprunterons quelques traits[1] que nous compléterons à l’aide d’autres documens. Nous pourrons ainsi montrer quels exemples la princesse Adélaïde eut de bonne heure sous les yeux, et dans quelles conditions son enfance s’est écoulée.

C’était la politique qui avait fait l’alliance. Lorsque Louis XIV donnait son consentement au mariage de sa propre nièce « demoiselle Anne d’Orléans » avec « très haut et très puissant, prince Victor-Amédée duc de Savoye » — c’est ainsi que les désigne leur contrat de mariage[2] — ce n’était pas seulement « pour qu’il fût notoire à tous qu’il conservait toujours un sincère désir de lui donner, en toutes occasions, les témoignages d’estime et d’affection qu’il faisait de sa personne, de l’affection et tendresse qu’il avait pour lui, et de la singulière considération qu’il faisait de sa maison, non seulement par tant d’alliances réciproques si souvent contractées depuis plusieurs siècles, entre la maison de France et celle de Savoye », c’était encore « à cause du constant attachement que très haute et très puissante princesse Marie-Jeanne-Baptiste de Nemours a fait paraître pendant le temps de sa régence aux intérêts de Sa Majesté et qu’elle a su si bien inspirer audit soigneur duc son fils que personne ne peut douter qu’il ne continue dans les mêmes sentimens. »

En réalité, Louis XIV se défiait fort des sentimens de son nouveau neveu. Dans les instructions adressées à son ambassadeur, le marquis d’Arcy, il lui recommandait « de se méfier des mauvaises dispositions de ce prince. » Mais il espérait par cette union le maintenir plus étroitement dans son alliance. Nous avons vu comme il y réussit. Louis XIV devait rendre un singulièrement mauvais service à sa nièce en prenant prétexte de sa qualité d’oncle pour intervenir dans les affaires domestiques du duc de Savoie. Au moment où elle arrivait en Piémont pour que

  1. La regina Anna di Savoia, studio storico su documenti inediti, par Luisa Sarredo ; Turin, 1887.
  2. Aff. étrang. Corresp. Turin, vol. 94.