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« Elle avait reçu de sa vertueuse mère de très bons principes, écrivait la princesse Palatine, la seconde femme de Monsieur. Lorsqu’elle arriva en France, elle était fort bien élevée, mais la vieille guenipe (Mme de Maintenon) voulant gagner son amitié et être la seule à avoir ses affections, lui a laissé faire toutes ses volontés et ne l’a contrariée en aucun de ses caprices[1]. »

D’où vient cependant qu’entre cette mère, dont la tendresse se montrait si dévouée, et cette fille dont la sensibilité devait être aussi précoce que l’intelligence, la relation ne fut jamais très intime. L’affection de l’enfant paraît s’être portée de préférence sur sa grand’mère, à en juger du moins par ce fait que les Archives de Turin ne renferment que huit lettres de la duchesse de Bourgogne à la duchesse Anne, contre plus de cent lettres à Madame Royale. Faut-il supposer, comme incline à le croire Luisa Sarredo, que ses lettres à sa mère ont été tout simplement perdues ? Cela n’est guère probable, car à cette cour de Turin tout était soigneusement conservé. Et puis le ton des lettres de la duchesse de Bourgogne à sa mère ou à sa grand’mère ne laisse pas d’être assez différent. Certes, celles adressées à sa mère sont tendres, mais un peu de cérémonie continue de s’y glisser : « Je me pique présentement en tout d’estre une grande personne, lui écrivait-elle en 1701, et j’ay cru que maman ni convenoit pas. Mais j’aimeray ma chère mère encore plus que ma chère maman, parce que je connoitrai mieux tout ce que vous vallés et tout ce que je vous dois[2]. » Ce sont assurément les sentimens d’une fille, respectueuse et reconnaissante, pour une mère dont elle connaît le mérite. Mais dans ses nombreuses lettres à sa grand’mère, il y a plus de vivacité, plus d’abandon, plus de petits détails sur elle-même et sur sa vie. On devine que l’intimité, la confiance, les habitudes du cœur sont là.

Il n’est pas très malaisé d’expliquer cette différence. Les enfans, chez lesquels se traduisent librement les premiers mouvemens de la nature, sont repoussés par la tristesse et attirés par la beauté. Il est probable que la duchesse Anne, qui n’était point jolie, ne parvenait point, même en compagnie de ses enfans, à chasser de son visage, naturellement sérieux, une gravité où se reflétaient les épreuves de sa mélancolique destinée. Elle ne

  1. Correspondance complète de Mme la duchesse d’Orléans, tome I. Lettre du 16 mai 1716.
  2. Arch. d’État de Turin. Lettere di Maria Adélaïde di Savoia, duchessa di Borgogna ; scritte alla duchessa di Savoia Anna d’Orléans, sua madre, 2 janvier 1701. Ces lettres ont été publiées par M. Paolo Boselli, ancien ministre des finances du royaume d’Italie, dans le t. XXVII des Atti della R. Academia delle scienze di Torino, de mars 1892.