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écrivait-il à Louis XIV[1], pour pénétrer ce qui pouvoit lui convenir. Je ne croy pas que de l’argent, quelque besoin qu’il en ait, pust l’accomoder, car l’argent reçu est toujours un reproche ; mais j’ai compris, par ses propres discours, qu’un portrait de Vostre Majesté, enrichi de pierreries et d’un prix convenable à vostre grandeur, lui seroit très agréable… Je remarque, ajoutait-il, qu’à cette cour on estime fort les petits présens, et je ne sçay si quelque rien à la marquise de Saint-Thomas ne seroit pas très agréable. » Mais comme il était d’usage qu’on fît un présent considérable au secrétaire d’État qui dressait le contrat de mariage, et « comme l’économie est la base qui fait durer les grâces », Tessé invitait le roi à réfléchir « s’il ne feroit pas filer le présent de Saint-Thomas jusqu’au temps du contract de mariage et en ce cas-là le faire plus gros. » Le roi se rangeait à ce sentiment, et, le moment venu, il demandait à Tessé lequel, des pierreries ou de la vaisselle d’argent, conviendrait mieux au ministre de Victor-Amédée. « Pour moy, Sire, répondait Tessé[2], je prendray la liberté de vous répliquer sur cella comme les enfans auxquels on demande lequel ils aiment mieux de papa ou de maman. D’ordinaire, ils les aiment bien tous les deux. Comme Vostre Majesté m’a fait l’honneur de me mander que le présent qu’Elle destine à ce ministre doit être de la valeur de vingt ou vingt-cinq mille écus, j’estime qu’un portrait de pierreries de dix ou douze mille écus, et autant en vaisselle d’argent raccommoderaient mieux qu’un portrait de vingt, car le meilleur ami que l’on puisse avoir c’est sa vaisselle d’argent. » Saint-Thomas recevait donc pierreries et vaisselle, et il s’en montrait fort satisfait, comme au reste tous ceux qui, à la cour de Turin, recevaient, à l’occasion du mariage, quelques marques de la générosité de Louis XIV. Chacun apportait son présent à Tessé pour le lui faire voir. Il en rendait compte au Roi, et ajoutait, en habile courtisan : « Il n’y a au monde que Vostre Majesté digne d’estre la maîtresse des cœurs, comme Elle l’est de son royaume. »

Le contrat de mariage de la princesse Adélaïde étant signé, une seule question demeurait à régler, c’était le cérémonial de son voyage et de sa réception en France. On s’en préoccupait fort à Turin, mais encore plus à Versailles, où, pour l’intelligence de ce qui va suivre, il devient nécessaire de nous transporter.


HAUSSONVILLE.

  1. Aff. étrang. Corresp. Turin, vol. 97. Tessé au Roi, 16 juillet 1696.
  2. Ibid., vol, 97. Tessé au Roi, 27 octobre 1696.