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Anglais et Allemands surtout, avec quelques Norvégiens, Français et Italiens — voilà l’extraordinaire mélange de races qui peuple Hawaï. Peut-être les blancs s’apercevront-ils bientôt qu’ils ont travaillé pour d’autres que pour eux.

Les indigènes polynésiens sont submergés dans cette foule ; ce n’est pas ici qu’on peut les bien voir : mais à Samoa, où j’accoste huit jours plus tard, il n’en est plus de même. A peine arrivons-nous en rade de la petite ville d’Apia, où vivent presque tous les trois cents Européens de l’archipel, que nous sommes entourés des barques des indigènes qui s’offrent à nous conduire à terre. Les bateliers montent sur le pont, de beaux hommes, très grands, musculeux, d’une couleur de bronze clair, les traits presque européens, les cheveux bizarrement teints en blanc par la chaux ou en roux par la poussière de corail, une couronne de feuillage sur la tête, les reins ceints d’un simple pagne qui laisse voir les plaques bleues de leur tatouage sur le dos et les jambes. A terre, la ville européenne n’est qu’une rue le long de la plage ; tout autour, les cocotiers ombragent de leurs palmes vertes, balancées en haut des grands troncs élancés, les langues de sable jaune qui s’avancent dans le bleu profond de la mer, aussi bien que les pentes des collines assez élevées qui la dominent ; sous les arbres, dans leurs grandes huttes ovales, au toit en forme de calotte que supportent des piquets de deux pieds de haut, et dont une mince cloison de jonc ne ferme qu’une partie du pourtour, des indigènes dorment ou causent, la tête appuyée sur une bûche de bois en guise d’oreiller ; dans un ruisseau qui descend à la mer, des femmes et des enfants se baignent en jouant. C’est bien le cadre idyllique du Mariage de Loti, car toutes ces îles enchanteresses de la Polynésie, Tahiti, Samoa, Tonga, se ressemblent. Ici du moins il y a peu de blancs ; point de Chinois ; et l’on est agréablement surpris d’apprendre que le nombre des indigènes s’accroît au lieu de diminuer. Les deux défauts de ces gens si gais, si aimables, sont la paresse et l’amour de la guerre : les Anglais et les Allemands qui font à Samoa le commerce du coprah ont dû importer des îles Salomon, dans le voisinage de la Nouvelle-Guinée, des travailleurs dont la peau foncée, les cheveux laineux et le visage prognathe contrastent avec le beau type des Samoans. Ceux-ci, vivant de racines et de fruits, dédaignent toute occupation, à moins qu’ils ne se battent : les guerres des fidèles du vieux roi Malietoa, qui vit paisiblement près d’Apia dans une jolie villa à l’ombre des cocotiers, et des partisans de son rival Mataafa ont rempli les trois îles de l’archipel pendant ces