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forêt vierge des tropiques ; les troncs des grands arbres jaillissent tout droits, entourés d’une dentelle de délicates fougères grimpantes ; et d’autres fougères encore tapissent partout le sol. De l’autre côté du bois, au fond d’un ancien cratère aux pentes abruptes, mais verdoyantes, dort un petit lac d’un bleu laiteux, qui jadis était bouillant, s’il faut en croire la tradition.

Ce pays, d’une végétation si riche, était, avant l’arrivée des Européens, d’une étonnante pauvreté en animaux : point d’autres mammifères que des rats et les chiens des indigènes, point de serpens non plus, quelques lézards ; les oiseaux avaient d’assez nombreux, mais étranges représentans. Le plus extraordinaire était le moa, gigantesque animal coureur, aux ailes rudimentaires, comme l’autruche, et proche parent de l’Epyornis de Madagascar, île avec laquelle la Nouvelle-Zélande offre plus d’une curieuse analogie sous le rapport de la flore et de la faune. Le moa est aujourd’hui une espèce éteinte ; mais ses os énormes et ses plumes même se trouvent dans nombre de cavernes, et on suppose que sa disparition est très récente. J’ai vu dans les musées des villes de la Nouvelle-Zélande plusieurs exemplaires de son squelette haut de quatre mètres et de ses œufs longs d’un pied. Il reste aujourd’hui quelques petits oiseaux de la même famille, les kiwis ou aptéryx, et les weka, incapables de voler. L’absence des oiseaux chanteurs rend tristes les belles forêts de la Nouvelle-Zélande ; mais les perroquets abondent. L’un d’eux, le kea, a donné un curieux exemple d’évolution des instincts ; c’est un des plus redoutables ennemis des éleveurs de moutons. Il s’abat sur le dos des animaux, arrache la laine, déchire les chairs et va droit sans hésiter à la graisse qui entoure le rein, dont il se nourrit, sans toucher aux autres parties de l’animal. L’introduction du mouton en Nouvelle-Zélande date de moins d’un siècle, et le kea, qui est un oiseau indigène, ne pouvait vivre auparavant que d’insectes : c’est un curieux mystère que ce changement de régime et la formation de ce nouvel instinct.

Les hommes qui peuplaient seuls la Nouvelle-Zélande avant l’arrivée des Européens ne sont pas moins étranges que les animaux, les plantes et le sol lui-même. Les Maoris font partie de cette intéressante et quelque peu mystérieuse race polynésienne qui peuple tous les archipels du Pacifique oriental. Il suffit de les voir pour le reconnaître, et leur langue le prouve aussi. Lorsque Cook, en 1770, explora les côtes de la Nouvelle-Zélande, un indigène de Tahiti qu’il avait emmené, lui servit d’interprète. J’ai entendu moi-même, aux îles Hawaï, un de mes compagnons de voyage, colon de la Nouvelle-Zélande, s’adresser en maori aux