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frappé sa proie. Les primitifs Australiens n’ont d’autre religion que quelques coutumes superstitieuses ; leur langue, dont les dialectes sont nombreux, est un pauvre assemblage de sons confus et sourds, bien différent du clair et harmonieux idiome des Maoris : quelques savans pensent pourtant que, d’après leurs légendes, ils sont une race en décadence ayant connu jadis un état de civilisation relative.

Ces malheureux étaient incapables d’opposer une résistance sérieuse aux Européens ; leurs luttes avec eux ont été des chasses plutôt que des guerres et n’ont jamais nécessité la présence d’armées régulières. Les colons anglais les ont souvent traités avec barbarie, comme s’ils avaient été des bêtes fauves, et les ont repoussés vers les régions stériles de l’intérieur, où ils ont peine à vivre et décroissent chaque jour en nombre. Les misérables échantillons que j’en ai vus dans les plaines arides de l’Australie occidentale avaient des membres si décharnés que j’avais peine à comprendre qu’ils pussent se soutenir. Ceux du nord, des parties tropicales du Queensland surtout, sont plus forts, mais disparaissent aussi, à mesure que leurs meilleurs terrains de chasse passent entre les mains des blancs. S’ils ont opposé peu de résistance, ils n’ont guère pu rendre de services à la colonisation : quelques-uns sont employés par les grands propriétaires de bétail, mais ils se font difficilement à une vie à peu près sédentaire et leurs instincts nomades reprenant le dessus, ils s’en vont un beau jour sans donner d’autre raison que leur irrésistible envie de voyager. Dans le Queensland, on a formé aussi un corps de police indigène dont on se sert pour maintenir dans l’ordre les tribus turbulentes. Dans quelques dizaines d’années, il ne restera plus des sauvages australiens qu’un souvenir ; le métissage entre deux races aussi éloignées que les blancs et ces primitifs est rare, et ils auront eu moins d’influence encore sur les destinées de l’Australie que les Peaux-Rouges sur celles des États-Unis.


III

Ç’a été une bonne fortune pour l’Angleterre que d’entrer un peu tard dans la carrière coloniale. Lorsqu’elle s’y est engagée au XVIIe siècle, les Espagnols, les Portugais, les Hollandais s’étaient emparés déjà de tous les territoires auxquels on attachait alors une grande valeur, de ceux qui produisaient des épices et des métaux précieux. Ce n’étaient point des colonies de peuplement, mais des colonies d’exploitation et des comptoirs commerciaux que recherchaient ces nations. Aussi le territoire qu’occupent