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l’Océan. Tout ce territoire est, du reste, salé et, où qu’on creuse un puits, il est extrêmement rare de rencontrer de l’eau douce. Celle qui provient des pluies, de plus en plus rares à mesure qu’on s’avance dans l’intérieur, est tout entière absorbée par les racines des arbres. L’eucalyptus seul, le spinifex et quelque broussailles épineuses peuvent vivre dans ces conditions. Tous ces « lacs » sont évidemment les restes d’une grande nappe d’eau salée, qui devait couvrir tout le pays à une époque géologique encore récente et dont le lit n’a jamais été dessalé à cause de l’insuffisance des pluies.

Mais nous voici à Boorabbin, le terminus actuel de la ligne, un campement de baraques de toute espèce dont les plus belles sont en tôle, et les autres en toile, où vivent les ouvriers du chemin de fer et beaucoup de cabaretiers, dont le commerce prospère en ce point d’arrêt obligatoire. De nombreux camions attelés de cinq ou six chevaux en file sont prêts à charger les marchandises qu’apporte le train ; quelques chameaux attendent aussi, menés par leurs conducteurs afghans, car on est allé chercher dans le nord-ouest de l’Inde, pour l’introduire ici, le « vaisseau du désert », auquel le climat convient parfaitement, et qui rend les plus précieux services. Voici des indigènes, les premiers que je vois, sortant de huttes en branchages ; on a dressé les gamins, très bons cavaliers, à rassembler les moutons qu’amène le train et qu’on ne décide pas sans peine à sauter hors de leur wagon-bergerie à deux étages ; les petits noirs galopent tout autour d’eux avec des cris et des claquemens de fouet pour les réunir en cercle. Mais il ne faut pas s’attarder à regarder cette confusion pittoresque ; je me hâte de retenir ma place dans la diligence de Coolgardie, une vieille voiture toute délabrée qui a parcouru jadis les grandes routes des environs de Melbourne et qui est venue s’échouer ici ; on s’y entasse treize, six à l’intérieur, sept au-dessus, qui à côté du cocher, qui sur la banquette d’arrière, qui au milieu des bagages. Après un déjeuner sommaire, nous partons au trot de nos cinq chevaux sur la route de Coolgardie, où la poussière est bientôt si épaisse qu’on peut à peine distinguer les chevaux de devant. Pour construire cette large piste, on s’est borné à couper les eucalyptus dont les souches restées en terre font bondir la vieille voiture qui retombe en gémissant ; le passage répété des camions a terriblement défoncé le chemin : aux montées, heureusement peu fréquentes dans cette immense plaine, à peine coupée de rares ondulations, on fait descendre les voyageurs, tandis que la voiture grimpe péniblement, les roues enfoncées jusqu’au moyeu dans le sable.