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l’évolution s’accentua : Pierre de Luna, qui paraît avoir toujours agi d’après une conviction sincère, se sentait naître des doutes et consultait des textes de droit.

Enfin, pendant les mois de mai et de juin, sous prétexte de fuir les chaleurs, les cardinaux citramontains sortirent peu à peu de Rome et gagnèrent séparément Anagni. Bien qu’ils fussent restés d’abord en correspondance avec le pape, leurs intentions ne demeurèrent pas longtemps équivoques après qu’ils se sentirent à l’abri derrière les 200 lances que le capitaine gascon, Bernardon de la Salle, était venu mettre à leurs ordres en passant sur le corps des Romains au Ponte Salaro. Le 9 août, Prignano était déclaré intrus, et ses adversaires, forts de l’appui de la reine Jeanne de Naples et d’Honoré Caetani, gouverneur de Campanie, qui, comme eux, avaient à se plaindre du pape, allaient, sur les domaines de Caetani, tenir un nouveau conclave à Fondi. Bientôt Urbain VI n’eut plus auprès de lui qu’un seul cardinal, celui qui avait passé avec lui au Vatican l’orageuse nuit du 8 au 9 avril, Tibaldeschi ; encore celui-ci touchait-il à ses derniers momens. Les trois autres membres italiens du sacré-collège étaient allés à Fondi rejoindre leurs collègues. Ils s’abstinrent néanmoins de prendre part au vote et se bornèrent à assister à la séance dans laquelle, le 20 septembre, les treize citramontains, à l’unanimité moins une voix, élevèrent Robert de Genève au pontificat sous le nom de Clément VII.

D’abord chanoine de Paris, évêque de Thérouanne, puis de Cambrai, le nouvel élu, fils d’Amédée III, comte de Genève, était de haute naissance, car il pouvait se vanter de tenir à la maison Capétienne. Jeune encore, — il n’avait pas quarante ans, — d’une figure et d’un aspect séduisans malgré une légère claudication et une certaine inégalité entre les deux yeux, sachant parler et sachant écrire, il avait l’apparence et les goûts d’un grand seigneur, l’âme belliqueuse et fière, mais aussi l’esprit aventureux, la conscience large et le cœur dur. On l’avait vu, pendant sa légation de Romagne, assister, sans s’émouvoir, aux horreurs qui avaient accompagné l’écrasement de la révolte de Cesena. Personne ne semblait mieux désigné pour être le champion d’une lutte où les armes spirituelles seraient moins employées que les armes temporelles ; cependant le sort de la guerre ne lui fut pas favorable, et Clément VII, pas plus qu’Urbain VI, ne devait voir la fin du schisme ouvert par leur double élection.