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longues déductions de cette pensée que « le beau est la splendeur du vrai », propositions que le lecteur se garde d’autant plus de contester qu’il les a moins comprises. Non. On est en face d’une thèse simple et concrète, comme celle-ci par exemple :


L’art de Bellini est centralement représenté par deux tableaux, à Venise : l’un, la Madone dans la sacristie des Frari, avec deux saints à ses côtés et deux anges à ses pieds ; le second, la Madone avec quatre saints au-dessus du second autel de San Zaccaria.

A leur sujet, observez ceci :

D’abord, ils sont tous deux travaillés avec des matériaux entièrement consistans et permanens. L’or qui s’y trouve est représenté par la peinture, non posé avec de l’or réel. Et cependant la peinture est si solide que quatre cents ans ont passé sur lui sans que, autant que je puisse voir, aucune altération malheureuse d’aucune sorte y soit survenue.

Secondement, les figures des deux tableaux sont dans une paix parfaite. Aucun mouvement n’a lieu, excepté celui des petits anges jouant d’instrumens de musique, mais d’un geste ininterrompu et sans effort, comme dans un rêve. Un chœur d’anges chantans par La Robbia ou Donatello eût été attentif à sa musique ou ardemment transporté par elle comme dans un effort passager : dans les petits chœurs de chérubins, par Luini, dans l’Adoration des Bergers, de la cathédrale de Côme, nous sentons même, à leur anxiété consciencieuse, qu’ils pourraient bien faire une fausse note s’ils étaient moins attentifs. Mais les anges de Bellini, même les plus jeunes, chantent avec autant de calme que les Parques filent.

Laissez-moi ici vous faire remarquer que ce calme est l’attribut de la plus haute espèce d’art. L’introduction d’un incident vigoureux ou violemment émouvant, est toujours un aveu d’infériorité.

Tels sont les deux premiers attributs de l’art le meilleur. Une facture impeccable et une parfaite sérénité, une action continue, non pas momentanée — ou une inaction entière. Vous devez être intéressé à la vie même « des créatures, non à ce qui leur arrive.

Ensuite le troisième attribut de l’art le meilleur, est qu’il vous incline à songer à l’âme de la créature et par conséquent à sa physionomie plus qu’à son corps.

Et le quatrième est que, dans la physionomie, vous devez être toujours amené à voir seulement la beauté ou la joie, jamais la bassesse, le vice ou la douleur.

Telles sont les quatre conditions essentielles du plus grand art. Je les répète pour qu’elles soient aisément apprises :

1. Une main-d’œuvre impeccable et durable.

2. La sérénité dans le repos ou dans l’action.

3. La figure considérée comme le principal, non le corps.

4. Et la figure affranchie de tout vice ou douleur[1].


Voilà une thèse posée. Tout lecteur sait ce qui va se débattre et à quels résultats plastiques, tangibles, à quelles modifications de ses jugemens et des œuvres futures mène le parti qu’on prendra.

  1. The relation between Michael Angelo and Tintoret.