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et du raffinement de la chevalerie à leur plus haut point dans la cité qui fut la fleur des cités[1].


Des champs vous êtes entrés dans un musée, comme on le fait dans mainte petite bourgade d’Italie, sur la colline de Fiesole ou dans l’île de Torcello, par exemple, et, des jeunes moissons, chaudes de soleil, vous avez passé sans transition aux vieilles et froides pierres où les mousses mêmes ne veulent plus croître. Elles aussi, tout d’abord, ne parlent qu’aux yeux. Vous admirez le modelé, le relief, le jeu des ombres sur ces débris, parfois le galbe d’un geste nu et la noblesse des draperies chiffonnées, mais à moins d’être un praticien vous-même, votre attention se détourne si votre curiosité intellectuelle n’est point attirée. Ces débris au fond de ces salles froides, gisant sur les marbres noirs des musées britanniques ou dressés dans les niches des glyptothèques allemandes, sont si loin de la vie. Ils touchent si peu à tout ce que nous savons de l’économie du monde, à ce [que nous ressentons de ses passions ou de ses douleurs, à tout ce que nous aimons de ses plaisirs… Ils y touchent ! nous dit alors l’esthéticien qui a laissé là ses iris et qui sur la pierre la plus morne et la plus froide, sur un fragment de draperies sculptées, pose un doigt qui fait jaillir de la masse l’idée qui l’agita :


Toute noble draperie, soit en sculpture, soit en peinture (sans tenir compte pour le moment de la couleur ni du tissu), remplit, pour autant qu’elle est quelque chose de plus qu’une nécessité, l’une de deux grandes fonctions. Elle est l’interprète du mouvement et de la gravitation. Elle est le meilleur moyen d’exprimer le mouvement que vient de faire et que lait la figure, et elle est presque le seul moyen d’indiquer à l’œil la force de gravité qui s’oppose à ce mouvement. Les Grecs exagéraient les arrangemens de draperies qui expriment la légèreté de l’étoffe et suivent le geste de la personne. Les sculpteurs chrétiens, se souciant peu du corps ou le condamnant et faisant tout reposer sur l’expression, employèrent la draperie d’abord comme un voile, mais ils aperçurent bientôt en elle une capacité d’expression que les Grecs avaient ignorée ou méprisée. Le principal élément de cette expression était l’entière suppression de toute agitation dans ce qui était si éminemment susceptible d’être agité. Du haut des formes humaines, la draperie tombait d’aplomb, balayant lourdement le sol et cachant les pieds, tandis que la draperie grecque s’envolait souvent à partir de la cuisse. Les étoffes épaisses et massives des vêtemens monacaux, si complètement opposées à la gaze légère des vêtemens antiques, donnaient l’idée de la simplicité de la division aussi bien que de la lourdeur de la chute. Et ainsi, la draperie en vint graduellement à représenter l’esprit du repos comme auparavant elle avait fait celui du mouvement, — d’un repos saint et sévère. Le vent n’avait pas de prise sur le vêtement, pas plus que la passion sur l’âme, et le mouvement de la figure ne faisait qu’incliner en une

  1. The Queen of the Air.