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pas ces manieurs de mots à la connaissance des événemens et des hommes, et à l’art d’en tirer parti, qui est la politique. Leur passage dans les assemblées ne les avait pas formés davantage, parce que leur hostilité contre la monarchie les tenait hors des situations où le pouvoir s’exerce. Quelques-uns avaient traversé plus qu’occupé les affaires sous la seconde République, tout juste assez de temps pour transformer en lois quelques doctrines d’opposition, pas assez pour se transformer eux-mêmes en hommes de gouvernement. Sous le second empire, la carrière publique de tous n’avait été que la suite de leur profession première : ils s’étaient bornés à écrire et à plaider contre Napoléon III, ne se souciant pas d’être équitables, mais populaires, et, sans tenir jamais compte des obstacles apportés par les faits aux volontés du souverain, toujours prêts aux condamnations absolues. Ces hommes n’avaient qu’une expérience : non celle d’exercer, mais celle de détruire le gouvernement.

De toutes les questions, celles auxquelles ils étaient le plus étrangers, étaient celles de l’armée. Et il n’en était pas sur laquelle ils eussent pris parti avec autant de persistance et d’unanimité. En toute occasion, et surtout quand avait été discutée, en 1868, notre réorganisation militaire, ils avaient nié que la véritable puissance fût, pour un État, l’entretien de soldats restreints en nombre, mais élevés par un long service et une stricte discipline au plus haut degré de valeur professionnelle. Eux avaient affirmé que la force est dans le nombre, que chacun se doit à la défense de la nation, qu’un long temps de service est superflu, que l’obéissance ne doit pas être passive, mais intelligente, et que le premier droit de cette intelligence est, pour le soldat, de choisir ses chefs. Au système des armées permanentes ils avaient opposé le système des milices.

Et cette doctrine n’était pas pour eux seulement une tactique. Sans doute, en opposant à des institutions militaires qui dévoraient une si grande part de la vie, de la liberté et de la richesse, un régime qui épargnait tous les sacrifices, ils servaient leurs desseins contre l’empire, mais ils exprimaient une conviction traditionnelle, sincère, passionnée du parti démocratique. Nulle part n’apparaissait mieux la méthode intellectuelle, qui, mêlant à la vigueur des idées théoriques le dédain des faits, devait édifier un assemblage de vérités et d’erreurs, et appuyait sur des principes raisonnables des conséquences chimériques.

A l’origine, un sentiment généreux et une idée juste. Ces philanthropes considéraient la guerre comme une survivance de la barbarie, croyaient à la fraternité des peuples, préparaient les