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que, portant le fardeau de toutes les épreuves ordonnées par lui, de tous les échecs subis par ses ordres, il attendît pour toute récompense l’accusation d’incapacité, et que, dans ce désenchantement furieux, puis dans le délaissement définitif, il lui suffit de n’être pas condamné par son propre cœur, et d’avoir servi sa patrie. Trochu crut être ce chef : voilà pourquoi il accepta le pouvoir.

Dans cette détermination Trochu apparaissait tout entier. Elle montrait unis en un homme à un degré rare l’orgueil par lequel il se préfère et le dévouement par lequel il se sacrifie. Telle était en effet l’originalité maîtresse de ce caractère. L’orgueil d’ordinaire est égoïsme ; non aboli, mais transformé par la conscience, il devenait ici généreux. L’orgueil d’ordinaire est illusion : bien que Trochu pensât si hautement de lui-même, il exagérait peu sur son mérite. Mais si peu que sa confiance légitime s’enflât d’infatuation, sa fierté en sa suprématie intellectuelle laissait peu de chance de reconnaître ses erreurs et de réparer ses fautes. Il n’allait éviter ni les unes, ni les autres. Du moins il ne s’abusait pas dans sa fierté sur sa valeur morale, il ne se trompait pas quand il se croyait le chef le mieux fait pour gouverner la mauvaise fortune. Car nul pour persévérer dans le devoir n’avait moins besoin d’espérance.


ETIENNE LAMY.