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charme de son être ? Il serait plus simple de voyager à cheval, voire à pied, si l’on devait, avant de partir, construire la locomotive ; comme il n’est pas nécessaire de canaliser soi-même l’électricité avant d’en jouir, il est beaucoup plus aisé et plus agréable de tourner le bouton d’un commutateur que d’allumer une bougie avec un morceau de bois enduit de phosphore. C’est précisément parce que l’électricité n’est pas jusqu’ici à la portée de tous, que la bougie existe encore ; mais sa place est de plus en plus bornée, et l’on voit une preuve de sa déchéance, dans le rôle déjà presque insignifiant qu’elle joue à Paris, où elle ne représente pas le centième de l’éclairage total.

Un temps viendra sans doute où, de la bougie, on n’emploiera que le nom. Elle servira seulement à mesurer l’intensité des diverses clartés artificielles. Aux étalons du système métrique pour les surfaces, les contenances et les poids, sont venues, depuis un siècle, s’ajouter des bases nouvelles pour compter la vitesse, la force et la lumière. L’étalon lumineux, aujourd’hui consacré, est dû à M. Violle, l’éminent physicien : c’est la lumière émise par un centimètre carré de platine incandescent, au moment de sa solidification. Cette clarté est égale à celle de deux lampes carcel — exactement 2 carcels 06 — ou de vingt bougies ordinaires de stéarine. Le nouvel étalon ne dérange donc pas l’habitude où nous sommes de calculer en bougies ; mais il a l’avantage de substituer à la carcel et à la bougie commerciales, dont l’éclat variable dépend de plusieurs causes — pour les lampes, qualité des mèches et pureté de l’huile ; pour les bougies, densité de la stéarine et nature de la composition, s’il s’agit d’une bougie de paraffine ou de spermaceti, sortant, la première des entrailles de la terre, mêlée au pétrole, la seconde du sein des mers, extraite de la cervelle du cachalot ; — à cette bougie commerciale, il substitue une bougie mathématique, puisqu’elle est le 20e d’un étalon de laboratoire, toujours semblable à lui-même.

Si nous évaluons ainsi en bougies la lumière artificielle de Paris, comme l’on évalue en chevaux-vapeurs la puissance des machines, nous voyons que le luminaire annuel de cette ville, représenté par le gaz, le pétrole, l’électricité, l’huile et la bougie, atteint le total de 35 milliards 205 millions de bougies-heure, ce qui signifie que l’éclairage annuel de la capitale, tant public que privé, correspond à une bougie qui brûlerait pendant 35 milliards d’heures — 4 millions d’années — ou à 35 milliards de bougies brûlant pendant une heure. C’est environ 30 bougies-heure par habitant et par jour.

Jetons un regard en arrière ; nous apprécierons mieux l’étendue