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dans le « plat pays », des chaumières de 70 francs de loyer annuel, où la « suspension » de porcelaine blanche, accrochée aux solives du plafond, a remplacé la chandelle et la torche. La consommation du pétrole, dont l’introduction ne remonte guère au-delà d’une trentaine d’années, était en 1867 de 18 millions de kilos. Elle atteignait 113 millions en 1883 ; elle est aujourd’hui de 230 millions de kilos — 65 milliards de bougies-heure — et, n’étaient les droits énormes qui la grèvent, elle aurait pris sans doute un bien autre développement, puisque la quantité moyenne, employée par tête, est, en Belgique, 4 fois, et à Berlin 5 fois plus forte qu’en France. Il est vrai que les Bruxellois paient 15 centimes le litre que les Parisiens paient 50 centimes.

Scandalisés par cette différence, quelques badauds ont voulu en rendre responsables nos raffineurs de pétrole, qu’ils ont accusés de l’accaparer pour le faire enchérir. L’opinion témoignait d’une assez belle ignorance des conditions dans lesquelles l’huile minérale est extraite du sol, voiturée, distillée et finalement offerte au public. Cette marchandise forme, à l’intérieur du globe, une mer souterraine dont l’étendue est si vaste qu’on ne peut prétendre la délimiter. En dehors des Etats-Unis et de la Russie, qui semblent jusqu’ici plus favorisés, la géographie du pétrole comprend, dans le nouveau continent, le Canada, les Antilles, le Venezuela et le Pérou ; on le trouve en Australie, en Chine, au Japon et dans les îles de la Sonde, en Perse et aux Indes. Les ingénieurs évaluent à 500 000 kilomètres — superficie de la France — la partie du Turkestan dont la richesse en huile est parfaitement avérée. Quoique l’Europe soit, à cet égard, moins bien partagée que l’Asie, la Roumanie et la Galicie sont capables de faire concurrence aux districts pétrolifères de Bakou, la ville sainte des anciens Guèbres, adorateurs du feu.

On n’a donc pas à craindre de voir s’épuiser la réserve de ces liquides bitumineux, qui se rencontrent à tous les étages de la voûte terrestre. Depuis le commencement du siècle jusqu’à 1860, la Russie seule exploitait le pétrole et à bien faible dose. Sa production ne dépassait pas 4 millions de kilos par an. Vers cette époque l’Amérique entre en scène. Le forage du premier puits par le colonel Drake, à Titusville, petit village de Pensylvanie composé de maisons en planches, est demeuré légendaire. Le pétrole date de ce moment son histoire, déjà contée ici même et qui abonde en curieux épisodes. La production des États-Unis était, en 1860, de 200 barils par jour ; elle est aujourd’hui de 150 000 barils ; celle de la Russie est quotidiennement de 95 000 barils. Les puits de ces deux pays ont un rendement annuel d’une