Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 135.djvu/864

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

encore français, comme on disait alors, les Phosphoristes ou indépendans n’étaient pas loin d’être allemands, c’est-à-dire de subir aussi une influence étrangère, celle de la littérature allemande, du romantisme de Schiller greffé sur la philosophie de Schlegel. Ce furent donc vraiment les Gothiques qui imprimèrent au mouvement littéraire suédois son caractère national, en substituant aux dieux de l’Olympe, aux héros de l’antiquité, la mythologie Scandinave et la légende populaire. Le sentiment national se plaisait à retrouver dans les chants de Geier, dans l’épopée symbolique de Ling, le reflet de ses plus intimes aspirations. Il la retrouvait plus expressément encore dans l’œuvre entière de Tegnér, dans la rêverie mélancolique et les hardiesses aventureuses des Vikings de la Saga de Frithiof, dans Axel, l’épopée guerrière des compagnons de Charles XII, dans le piétisme, le mysticisme naïfs d’un étrange poème religieux : les Enfans de la Première Communion. Et malgré la légère teinte d’archaïsme que leur donnent le changement des temps et le progrès des idées, ces œuvres de Tegnér resteront à jamais les œuvres classiques de la littérature suédoise.

De l’autre côté de la Baltique, dans la patrie de Franzén, la Finlande, séparée désormais politiquement de la Suède, mais unie encore à elle par une entière communauté de langue et de traditions, le poète Runeberg continuait ce mouvement national, lui faisant subir seulement une forte poussée vers le réalisme. Les poèmes patriotiques dédiés à son compatriote Franzén, ses Dictons de l’enseigne Stal, devenus classiques sur les deux rives du golfe, chantaient les luttes des Finlandais, lorsqu’ils combattaient encore sous le drapeau suédois, et peignaient des épisodes des campagnes menées en commun contre les Russes. Sa poésie pleine d’un ardent patriotisme, portait avec cela une empreinte de réalité qui contrastait fort avec le pur idéalisme des poèmes de Tegnér.

Aussi n’est-il pas étonnant que l’on fasse aujourd’hui une gloire à Runeberg d’avoir le premier, avec le poète danois Œhlenschlager, introduit le réalisme dans les littératures Scandinaves. Il ne faudrait pas cependant se méprendre sur le sens des mots, et celui de réalisme, en littérature, est arrivé à signifier tant de choses qu’il est difficile de l’employer sans parfois dépasser le but. Le réalisme de Runeberg consiste à rejeter de la poésie l’élément purement imaginaire ; mais il ne comporte nullement l’absence de spiritualité et de sentiment religieux. Runeberg n’a rien fait que d’admettre dans son œuvre la peinture de la vie directement observée, à la place « les faits tout fictifs où s’étaient