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galerie. M. Bourgeois avait dit ou paru dire qu’il y avait quelque différence entre le socialisme et le collectivisme, et, s’il désavouait le second, il montrait une certaine faiblesse envers le premier. M. Millerand, secondé bientôt par M. Jaurès, a déclaré que cette différence n’existait pas, et que l’identité était parfaite entre le socialisme et le collectivisme. On ne pouvait pas être partisan du premier sans l’être du second. Nous sommes volontiers de cet avis, et nous ne sommes pas les seuls. Malgré les protestations de M. Mirman qui a écrit une lettre officielle à M. Millerand pour se séparer de lui sur ce point particulier, tout le monde commence à confondre les deux systèmes. Le socialisme peut être une tendance humanitaire et vague ; le collectivisme en est la mise en œuvre logique et concrète. En tout cas, si ce n’est pas l’opinion de M. Mirman, c’est celle de M. Jules Guesde, le représentant du vieil esprit collectiviste, qui a donné à M. Millerand une sorte d’estampille officielle, avec un air rogue, il est vrai, comme il convient à un ancêtre naturellement grondeur à l’égard des générations plus jeunes et plus alertes, mais enfin avec toute l’autorité dont il dispose. Les manifestations extra-parlementaires de MM. Millerand, Mirman, Guesde, Jaurès, etc., ont été l’objet de nombreux commentaires ; elles ont fait couler beaucoup d’encre. Toute l’attention publique, ou du moins ce qui en était pour le moment disponible, s’est porté sur les disputes des socialistes et des collectivistes, et le sujet était en somme plus digne d’intérêt que le déplacement du préfet du Tarn. Ce déplacement était, à la vérité, le principal grief de M. Jaurès au début de son discours, mais M. Jaurès a l’esprit trop généralisateur pour s’attarder à ces détails d’ordre secondaire. Il a demandé nettement au ministère : Etes-vous pour ou contre le socialisme ? en ajoutant qu’il ne saurait plus y avoir d’autre question.

MM. Méline et M. Barthou ont accepté la question ainsi posée, et ils ont reconnu du même coup l’identité établie entre le socialisme et le collectivisme. Dès lors, M. le ministre de l’intérieur a pu dire que toute hésitation à l’égard de ces doctrines serait « criminelle ». C’est la lutte contre le collectivisme que le gouvernement a entamée avec une résolution, une vigueur de ton, une netteté d’altitude des plus honorables de sa part. En quelques heures de discussion, beaucoup de nuages ont été dissipés, et aussi un certain nombre de situations se sont trouvées modifiées. On a vu se dessiner une classification des partis toute nouvelle, avec des mots d’ordre qui, de part et d’autre, n’avaient pas été entendus jusqu’ici. Et, symptôme plus remarquable encore, on a entendu résonner les mots d’ordre d’autrefois sans qu’ils produisissent le moindre effet. Ils se sont en quelque sorte perdus dans le vide.

Il y a un homme dans la Chambre auquel sa situation de président de groupe a donné une importance toute représentative, c’est M. Isam-