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impression. Il n’en avait pas été de même des publications antérieures de M. Crispi : soigneusement émondées et expurgées, elles avaient pris à tache de tout ménager, d’abord la situation personnelle de M. Crispi, mais aussi celle de ses amis ou alliés de Londres, et la vérité y avait été mesurée avec tant de parcimonie qu’il était difficile de l’y bien reconnaître. Le ministère actuel a montré moins d’hésitation : il a tout dit ou à peu près tout. Il résulte de ses confidences faites au public que les conversations entre le cabinet anglais et le gouvernement italien ont eu, à diverses reprises, le caractère de la plus grande intimité. De cela, on se doutait bien, mais on ne savait pas exactement jusqu’où cette intimité avait été poussée, quelle forme elle avait eue, quels liens en étaient résultés entre les deux gouvernemens. Lorsqu’on a vu, par exemple, que le brouillon d’une lettre adressée par lord Salisbury au ras Mangascia était soumis au préalable au ministère italien, que celui-ci dictait les corrections à y faire, et que ces corrections y étaient faites, on a compris qu’il s’agissait de quelque chose de plus sérieux qu’on ne l’avait cru d’abord.

Il est hors de doute aujourd’hui, et cette constatation n’est pas pour déplaire en Italie, qu’entre Rome et Londres il y a eu constamment échange de vues, afin d’établir et de maintenir un parfait accord politique. On s’est rendu des services réciproques ; on a discuté et préparé des plans d’action commune ou concertée. L’occupation de Kassala parait avoir été un des points sur lesquels on est revenu le plus souvent. Nous avons déjà signalé le peu d’intérêt que cette occupation avait pour l’Italie, même à ses propres yeux ; mais il n’en était pas de même aux yeux de l’Angleterre. Celle-ci y attachait une grande importance, sans doute pour le développement ultérieur de projets encore mal connus. Quoi qu’il en soit, l’entente entre les deux gouvernemens est devenue très étroite. Aussi lorsque l’Italie a soudainement éprouvé les désastres que l’on sait, n’a-t-elle pas hésité à se tourner vers l’Angleterre pour lui demander un concours sur lequel elle croyait bien pouvoir compter, et qui d’ailleurs ne lui a pas fait complètement défaut. On assure toutefois, — nous laissons cet incident de côté, d’abord parce qu’il ouvrirait des questions nouvelles, et ensuite parce qu’il n’est pas encore tout à fait éclairci, — on assure que l’intervention de l’Allemagne n’a pas été inutile pour amener l’Angleterre à franchir le pas et à annoncer au monde un peu étonné qu’elle allait, sans plus de retard, entreprendre une expédition sur Dongola. Mais était-ce bien dans l’intérêt de l’Italie que cette expédition allait être entamée, ou n’y avait-il pas d’autres motifs encore de la faire, et des motifs supérieurs ? Les ministres anglais ont fourni à ce sujet les explications les plus confuses. Tantôt ils ont parlé de l’Italie qu’il fallait dégager de l’étreinte des derviches, et tantôt de l’Egypte à laquelle il fallait donner du côté du Soudan une frontière plus solide. Cette dernière considération a fini