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talent par M. Cordonnier, dans un style élégant mais scolaire, — la Musique (un jeune Apollon violoniste), et la Chanson (une Muse ailée, portant la lyre), — représenteront particulièrement pour le Monument de Gustave Nadaud les qualités françaises et modernes de sa poésie bourgeoise et de sa verve honnête. Un peu plus de modernisme dans les ajustemens et dans les allures, autant que dans les physionomies, serait-il pas alors de mise et de saison ? C’est déjà bien assez, nous nous en sommes déjà plaints, que trois fois sur quatre, pour illustrer nos grands hommes, les imaginations associées du peintre et du sculpteur ne trouvent d’autre combinaison plus nouvelle qu’une figure de femme debout ou assise sous un buste. Encore faudrait-il que cette allégorie, soi-disant explicative ou expressive, ne fût pas une éternelle répétition de quelque nymphe antique ou de pleurantes justement célèbres, de Chapu et de Mercié, mais déjà banalisées par d’innombrables imitations. Sur le monument de Charles Grad pour la ville de Turckheim, par M. Enderlin, une Alsacienne nettement caractérisée, au lieu et place de la Muse indéterminée qui écrit ses titres sur le livre de gloire, n’eût-elle pas mieux indiqué le savant et le patriote ? Il ne s’agit pas de l’exécution, car la figure juvénile de M. Enderlin est charmante, d’une heureuse attitude et d’une expression délicate et naïve fort bien appropriée ; toutefois on peut s’imaginer une figure plus spéciale et plus typique avec ces mêmes qualités. M. Mercié a montré, depuis longtemps, par le groupe de Quand même, que la grandeur de l’expression et la puissance du style ne sont pas incompatibles avec l’exactitude, même la plus scrupuleuse, du type et du costume, de tout ce qui constitue, en un mot, cette couleur locale, si difficile à retrouver à distance, si facile à fixer par les contemporains, et qui devient dans l’avenir, pour les œuvres de ce genre, la marque même de leur sincérité.

Cette année encore, M. Mercié, ayant à modeler un groupe pour un Monument commémoratif de la défense de Châteaudun, s’est trouvé aux prises avec les mêmes difficultés ; nous ne saurions dire qu’il les ait résolues avec le même bonheur, mais il les a du moins abordées sans ambages. Le groupe se compose de trois figures : une jeune femme à genoux, la robe en lambeaux, désespérée, échevelée, tournant le dos à un soldat mort étendu derrière elle, en travers. Par-dessus le cadavre, protégeant la jeune femme, qui s’affaisse entre ses jambes, un garde national, d’âge mûr, épaule son fusil à piston et vise devant eux. La femme, épeurée et troublée, tire, de côté, un coup de pistolet inutile. C’est, comme le dit le cartel, pour l’honneur. De face, à cause de l’ombre portée sur la femme et du long fusil qui cache