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pas les cœurs avec des périodes académiques. Saint Bernardin de Sienne a été avant tout un prédicateur populaire ; et il a bien pu rédiger ses Sermons en latin, mais il faisait alors le docteur ; et si l’on veut retrouver l’orateur, c’est dans les Prediche volgari qu’il nous faut, le chercher.

Et c’est là aussi que nous retrouverons l’homme, avec cette grâce d’enjouement qui semble avoir été l’un des traits essentiels de son caractère et qui n’était pas moins conforme aux exemples et aux leçons de saint François d’Assise qu’à la nature même du tempérament siennois. « Regardez les abeilles sur le thym : elles y trouvent un suc fort amer ; mais en le suçant elles le convertissent en miel, parce que telle est leur propriété. O mondains — s’écrie un autre saint François — les âmes dévotes trouvent beaucoup d’amertume en leurs mortifications, il est vrai, mais en les faisant elles les convertissent en douceur et en suavité ! » C’est ce que l’on peut dire de Bernardin de Sienne, et le témoignage de ses contemporains est unanime à cet égard. Nulle affectation en lui de rudesse ou d’austérité. « Il était gai, nous dit-on, il badinait et riait toujours. » Quarante-deux ans de vie monastique n’ont pas plus pesé sur son âme que vingt ans de prédication ou d’apostola n’ont altéré l’égalité de son humeur. Ici le bon père a ri : bonus pater risit, nous disent ses biographes, et c’est en souriant qu’il est mort : rident i similis. On reconnaît ce sourire, il a passé quelque chose de cet enjouement du modèle dans le livre de M. Thureau-Dangin. Et pourquoi voudrait-on qu’en effet la piété fût maussade ? ou pourquoi la biographie d’un saint ne serait-elle pas aussi intéressante que celle d’un homme d’État ou d’un général d’armée ?

Remercions donc M. Thureau-Dangin d’avoir écrit ce livre, et puisque nous n’en pouvons donner ici qu’une faible idée, renvoyons le lecteur à Saint Bernardin de Sienne. Il n’y a pas beaucoup de livres plus intéressans, et je n’en sache guère de plus instructif. Je n’en sache pas surtout, où le charme naturel d’une biographie s’encadre plus heureusement dans les lignes de la grande histoire. Les Italiens ne seront pas sans doute les derniers à s’en rendre compte. S’ils étaient tentés d’en vouloir à l’auteur de leur avoir pris un sujet qui semblait leur appartenir, ils lui pardonneront aisément pour la manière dont il l’a traité, avec autant de sympathie que d’art. Et nous, après l’avoir lu et relu pour notre plaisir, nous le mettrons, pour notre profit, sur un rayon de nos bibliothèques, à côté des ouvrages classiques de Voigt et de Burckhardt, qu’il complète, qu’il éclaire en les complétant, et qu’en les éclairant il corrige et il rectifie.


FRANCIS CHARMES.

Le Directeur-gérant, F. BRUNETIERE.