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victoire. Est-ce le Condominium qu’ils auraient rétabli ? Tout le monde en était dégoûté et personne n’y voulait revenir, et moins que tous autres nos compatriotes d’Alexandrie et du Caire. Mais le régime de communauté étant reconnu impossible, comment aurait-on opéré la séparation de biens sans donner lieu à de nouvelles et bien plus redoutables contestations ? Quelle répartition de pouvoirs et d’influences aurait-on fait entre les deux États protecteurs et comment l’un et l’autre se seraient-ils accommodés du partage ? Il eût été très avantageux sans doute de partir en mesure, mais combien de temps aurait-on pu marcher du même pas, et l’harmonie aurait-elle duré ?

La vérité est qu’il y avait eu une faute initiale dont la conséquence était de ne plus nous laisser que le choix entre d’autres plus graves à commettre. Il est très fâcheux assurément de s’être laissé devancer par l’Angleterre en Égypte, mais s’y retrouver côte à côte, c’est-à-dire face à face avec elle, n’était pas non plus sans inconvénient : et c’était l’idée malheureuse de soustraire l’Égypte à l’action collective du concert européen qui, en nous mettant dans cette alternative, portait ses fruits naturels. Et au fait, quel titre avait motivé cette exception ? L’Égypte n’est qu’une fraction de cet Empire ottoman dont l’ensemble est soumis tout entier depuis plus d’un siècle à la surveillance à la fois vigilante et jalouse de toutes les grandes puissances européennes, mais de toutes sans distinction et sans privilège pour aucune d’entre elles. C’est cette action commune qui maintient ce triste empire sur la pente de son déclin, et qui empêche, dans les jours de crise, un de ses tuteurs de s’attribuer d’avance, dans ses dépouilles, une part de faveur aux dépens des autres. Pourquoi ce régime qui préserve l’équité et l’équilibre dans l’existence du tout n’aurait-il pas le même effet pour la partie ? C’était la une règle de conduite toute tracée, pourquoi s’en être départi ? Il semble qu’on reconnaisse l’erreur aujourd’hui et qu’on la regrette, car l’autre jour, quand on a appris que l’Angleterre, pour subvenir aux frais de l’expédition du Soudan (qui n’est qu’une conséquence naturelle de son occupation) demandait à disposer des fonds pris sur la réserve du trésor égyptien, quelle a été la réponse de notre ministre des affaires étrangères ? N’a-t-il pas déclaré à la tribune que cette prétention soulevait une question qui n’était pas seulement d’ordre financier, mais aussi d’ordre européen ? Eh ! vraiment oui, on ne pouvait mieux dire. Mais il était tard pour s’en apercevoir et tard aussi pour solliciter de l’Europe, si lestement congédiée il y a peu d’années, une intervention qui aurait pu autrefois prévenir le mal, mais serait aujourd’hui, je le crains, à peu près impuissante à le réparer. Sans doute, si l’influence