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d’un fonctionnaire, a dit M. Georges Barbier, dans son Code expliqué de la Presse, ne fait qu’user d’un droit politique que la loi reconnaît à tous les citoyens, et l’exercice de ce droit, lors même que celui qui en use obéit à l’esprit de vengeance ou de dénigrement, ne saurait lui faire encourir aucune responsabilité ni pénale, ni civile. »

Nous admettons cette théorie, nous admettons la grande lumière qu’elle appelle sur les actes des représentans du gouvernement. Mais si de par la loi il y a ainsi deux parquets en France : le Parquet officiel, et à côté de lui le « Parquet officieux » qui est celui de la Presse ; si ce Parquet officieux jouit de libertés extrêmes pour accuser les fonctionnaires ; s’il peut les attaquer sans précautions et sans enquête, en donnant à ses réquisitoires la portée et le ton d’un arrêt ; si les hommes que ce Parquet dénonce sont ainsi vraiment et légalement des accusés, qu’ils aient du moins les garanties qui s’attachent en tout pays civilisé à une telle situation ! Que ce Parquet officieux qui revendique avec tant de raison pour les citoyens poursuivis par le Parquet officiel les droits sacrés de la défense, les accorde de même à ses propres accusés ! Cette demande à coup sûr n’est pas excessive et on sait pourtant qu’elle est loin d’être exaucée ! En effet si la sauvegarde de l’inculpé contre le ministère public a été médiocrement organisée par nos lois, la sauvegarde des citoyens contre « l’autre Parquet » ne semble pas bien assurée encore. Nous savons qu’avant le procès les jurés ont été prévenus, flattés ou menacés, assaillis de commentaires sur les faits qu’ils auront à juger ; nous constatons maintenant qu’à l’audience, notre accusé, c’est-à-dire le plaignant, voit le champ du procès, le terrain des imputations dont on doit apporter la preuve, tout à coup envahi et débordé de toutes parts, par des faits étrangers.

Si ce tableau est vrai, la chose est grave et vaut la peine qu’on y réfléchisse. A une époque où la diffamation et l’outrage contre les fonctionnaires, les députés, les hommes publics du pays sont devenus si fréquens et si violons, est-il supportable que ces hommes ne puissent pas se défendre rationnellement, au cours d’un débat libre, mais exactement circonscrit dans les limites de la logique et de la loi ? Il n’est pas tolérable que l’audience soit une arène où chacun ait le droit de tout dire, où l’honneur du plaignant dépende de la solution de je ne sais quelle confuse et tumultueuse bataille politique ! Prenons-y garde, notre pays, par des raisons complexes et multiples, devient de plus en plus une nation de fonctionnaires : il ne mérite pas que l’on fasse de lui aux yeux du monde une nation de fonctionnaires discrédités !