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blé étant de 20 francs le quintal, le gouvernement avait reconnu que ce prix ne laissait aucune marge de profit au producteur et rendait sa situation intolérable. Que dirait-il aujourd’hui, avec le prix de 19 francs ? Certes, il n’y a pas là seulement de la rhétorique ; et pourtant le cultivateur français se défend mieux contre les duretés du sort que ne le font les fermiers d’Angleterre, d’Allemagne et d’autres pays voisins Un Anglais, qui est venu étudier surplace notre situation agricole pour la comparer avec celle de son pays, écrivait le 21 février dernier que décidément l’agriculteur de France est moins malheureux que son confrère britannique, et que ce résultat, s’il est dû, pour partie et d’abord, à l’efficacité des bienfaits de la protection douanière, l’est plus encore à une série de causes permanentes, telles qu’une organisation déjà remarquable de l’enseignement agricole, des habitudes d’économie sévère des femmes de nos campagnes, la réunion du double caractère de propriétaire et de cultivateur en une même personne dans le plus grand nombre de cas[1], l’attention minutieuse portée sur les profits secondaires, enfin la pratique de plus en plus répandue de la coopération, le fonctionnement très actif des syndicats agricoles dans toutes les régions de la France.

Au point de vue scientifique, les agriculteurs français ont fait de grands progrès depuis quelque temps. L’exemple est donné, sur des points multipliés, par des hommes intelligens qui trouvent le moyen de réaliser des bénéfices considérables, même par la culture en grand des céréales à bas prix. Les bonnes méthodes se propagent, et la moyenne générale du rendement s’élève. C’est par-là que se sauvera notre industrie agricole, et, dans cette industrie, la culture nationale par excellence, la culture du froment[2]. Néanmoins, la masse souffre encore, et ses défenseurs ne se lassent pas de réclamer le secours du gouvernement. Ils demandent encore, après le droit d’entrée de 7 francs, un droit de douane

  1. Sur sept millions de Français exerçant la profession d’agriculteurs, plus de la moitié sont possesseurs d’une portion plus ou moins considérable du sol qu’ils cultivent.
  2. La France a récolté, en 1895, 119 millions d’hectolitres de blé (92 millions de quintaux) sur une superficie ensemencée de 6 944 000 hectares. C’est une diminution de 3 millions d’hectolitres et de 129 000 hectares sur 1894, une augmentation de 21 millions d’hectolitres combinée avec une diminution de 42 000 hectares sur 1893, qui avait été une très mauvaise année. Le rendement moyen s’est un peu élevé et atteint 17 hectolitres à l’hectare. L’agriculture pourrait certainement augmenter dès maintenant cette production, grâce aux engrais intensifs dont l’efficacité et les modes d’emploi ne lui sont plus inconnus. Mais elle ne saurait être incitée à le faire aussi longtemps que les bas prix actuels ne lui permettront pas la vente avec bénéfice de cet excédent éventuel de production. — Les évaluations du produit de 1895 en froment pour le monde entier font ressortir une réduction variant de 50 à 100 millions d’hectolitres, sur 1894.