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de leurs produits et le recours à des imitations peu scrupuleuses de produits français. Ce ne sont pas là des facteurs sérieux de puissance commerciale.

Si les progrès du commerce allemand sont arrivés à peu près à leur zénith au Brésil comme dans toute l’Amérique du Sud, il n’en est pas de même du commerce nord-américain, dont le développement dans ces régions a été tout à fait remarquable depuis quelques années.

Derrière l’espèce de protectorat politique que les États-Unis cherchent à étendre en ce moment sur tout le continent américain à l’aide de leur doctrine de Monroe dont ils jouent si habilement, ils ont entrepris avec méthode la conquête économique des Amériques centrale et méridionale, gagnant de proche en proche les marchés du Mexique, de Cuba, d’Haïti, des républiques du centre, du Venezuela. Ils ont déjà envahi le Brésil, et bientôt l’industrie européenne reculera devant l’ascendant des produits de l’industrie nord-américaine dans le Chili, le Pérou, la Colombie et la République Argentine.

Les grandes maisons de production ou d’exportation des États de l’est apportent à cette conquête les qualités d’énergie, d’audace, de persévérance que le Yankee applique à toutes ses entreprises. On sait qu’à la suite du congrès panaméricain de 1889, il a été institué à Washington un Bureau des républiques américaines. Instrument politique d’une utilité douteuse et en complète décadence, ce bureau a dégénéré en un organe actif de publicité commerciale, une agence ingénieuse et efficace de propagande par tous les procédés ordinaires de réclame : journaux, affiches, catalogues et prospectus.

Des concurrens de moindre envergure, la Belgique, l’Italie, le Portugal, l’Espagne, la Suisse, nous supplantent sur certains marchés sud-américains pour l’écoulement de produits dont le commerce français avait jusqu’alors le monopole. L’Espagne envoie surtout dans la République Argentine ses vins, ses liqueurs d’anis, ses produits barcelonais : huile d’olive, fruits et poissons en conserve. Le Portugal donne au Brésil des vins et des huiles d’un prix très bas, au goût acre et épais, qui ne répugnent point aux Brésiliens. L’Italie expédie ses fromages, sa mortadelle, ses pâtes alimentaires, et encore des huiles, très inférieures aux nôtres en qualité, mais d’un prix bien moins élevé, et des vins pour lesquels une population italienne considérable constitue au Brésil une clientèle assurée[1]. Déjà l’Italie fait concurrence en outre

  1. Notre importation de vins au Brésil a été réduite de 10 millions de litres en 1874, à moins de 2 millions en 1894 (rapport consulaire de Rio de Janeiro du 11 novembre 1894), tandis que l’importation de vins du Portugal, de l’Espagne et de l’Italie a doublé durant la même période. L’énormité du droit d’entrée sera un grand obstacle à la reconquête de ce marché : les modifications de tarifs, votées par le Congrès à Rio de Janeiro en décembre 1894, portent à 10 francs par bouteille le droit d’importation sur les vins de Champagne.