Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 136.djvu/478

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nature même des choses ; il est remonté aux origines historiques de la rente et a soutenu que des engagemens solennels avaient été pris, d’où résultaient pour elle des immunités et des privilèges particuliers. Que l’on admette ou non sa thèse, M. Ribot l’a exposée avec une puissance de conviction communicative. Le gouvernement n’a rien fait pour combattre l’impression de sa parole, et M. Rouvier, le lendemain, l’a retrouvée tout entière, répandue en quelque sorte dans l’atmosphère de la Chambre, lorsqu’il a prononcé le beau discours qui a porté l’émotion à son comble. M. Rouvier, lui aussi, s’était tu pendant longtemps, pendant plus longtemps que M. Ribot, et pour des causes différentes. C’est une véritable rentrée qu’il faisait sur la scène parlementaire, et cet homme si intelligent, si bien doué par la nature de toutes les facultés qui aident à tout comprendre et à tout exprimer, avait très habilement choisi l’occasion qui se présentait à lui. La Chambre a assisté à une véritable fête oratoire, et presque tout entière elle a éclaté en applaudissemens prolongés. Les parties contestables du discours de M. Rouvier, — car il y en avait, — disparaissaient dans l’ensemble, et le tout était emporté par un souffle d’éloquence qui, lorsqu’il passe sur les assemblées, incline, au moins pour un moment, toutes les têtes. L’effet a été encore augmenté le lendemain par les comptes rendus et par les appréciations des journaux. M. Rouvier a dit sans doute beaucoup de bonnes choses, utiles, courageuses ; mais, dans le nombre, celles qui dénotaient peut-être le plus de courage ou d’indépendance d’esprit se rattachaient à la défense de notre système d’impôts, si attaqué, si calomnié, et qui pourtant, depuis un siècle, a fait ses preuves avec une solidité que rien n’a entamée. Si on juge un système d’après le maximum de rendement qu’il produit, et d’après le minimum de frottement ou de résistance qu’il rencontre, il faut convenir que le nôtre est merveilleusement adapté soit à son but spécial, soit à nos mœurs et à notre caractère. Il nous a aidé à traverser sans faiblir les crises les plus cruelles de notre histoire. Pourquoi donc le changer ? Pourquoi emprunter à l’étranger, tantôt à l’Allemagne, tantôt à l’Angleterre, des parcelles de leur propre système ? Car ce n’est jamais que des parcelles que nous leur empruntons, et pour cause ; nous ne pourrions pas nous plier à une imitation absolue. Mais il résulte de ce mélange quelque chose d’hétéroclite et de bâtard qui ne satisfait ni la raison pure ni la raison pratique. Voulons-nous établir l’impôt sur les revenus, sur tous les revenus, y compris la rente, comme il existe en Angleterre ? Alors, pourquoi laisser subsister une exception au profit des revenus du travail ? On peut théoriquement admettre que les revenus de la rente soient frappés si tous le sont ; mais s’ils ne le sont pas tous, pourquoi ne pas faire bénéficier la rente d’une exemption qui profite à d’autres ? Et si tous les revenus ne sont pas atteints directement, si on maintient ou si on