Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 136.djvu/480

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’inverse des socialistes, M. Doumer s’est déclaré l’adversaire passionné de l’impôt sur la rente. Peut-être espérait-il se réconcilier avec le monde des affaires qu’il a si violemment ému et troublé par son impôt global sur le revenu. Peut-être voulait-il tout simplement faire acte d’opposition. Peut-être aussi avait-il le sentiment plus ou moins distinct que l’impôt sur la rente lui enlèverait un argument pour l’avenir et rendrait plus difficile l’établissement de l’impôt global. Quoi qu’il en soit, il s’est prononcé contre. On a eu beau lui dire que l’impôt sur la rente était certainement compris dans l’impôt général tel qu’il l’avait présenté lui-même et que, sur ce point du moins, le projet de M. Cochery ne faisait pas autre chose que le sien, la seule différence est qu’il le faisait plus ouvertement, M. Doumer n’a voulu rien entendre. S’il s’était borné à critiquer le projet ministériel et à renouveler contre lui, bien qu’à un point de vue différent, les critiques de M. Ribot et de M. Rouvier, peut-être aurait-il augmenté l’embarras du ministère et le désarroi de la majorité. Mais il a voulu faire plus. Il a repris son propre ancien projet, et, après y avoir introduit quelques corrections qui ne l’amélioraient guère, il l’a présenté comme amendement au projet du gouvernement. Il ne pouvait pas rendre un meilleur service à M. Cochery et à M. Méline. Son initiative devait dissiper une équivoque sur laquelle les radicaux vivaient depuis trois mois, à savoir que leur système avait eu, et qu’il conservait in petto la majorité dans le parlement. Était-ce vrai ? Il était bon qu’on le sût avant de se séparer. Mais il était imprudent, de la part de M. Doumer, de le demander. Lorsque lui-même était au pouvoir et que la Commission du budget attaquait son projet, il ne cessait de l’exhorter à en présenter un autre, sachant fort bien qu’aussitôt les coups qui tombaient drus et serrés sur le sien se diviseraient pour le moins, et qu’une partie se détournerait sur la Commission. Celle-ci s’est bien gardée de tomber dans le piège qu’on lui tendait. M. Doumer, emporté par une humeur généreuse et batailleuse, n’a pas été aussi sage. Croyant sans doute retrouver tout entière sa majorité du mois de mars dernier, — elle s’était élevée à 48 voix, — il a déposé hardiment son projet. Aussitôt, la Chambre a un peu oublié celui du gouvernement. M. Méline, dans le discours qu’il a prononcé, discours d’ensemble où il a envisagé toutes les faces de la question et de la situation, a pu glisser sur son propre système pour s’appesantir sur celui de M. Doumer. Cette partie de ses observations a été, de l’aveu général, la plus remarquable, et aussi la plus applaudie. La majorité, un peu troublée, ébranlée par la discussion antérieure, a été heureuse de se reformer contre l’impôt global des radicaux. Il y avait là, pour elle, une occasion et un moyen inespérés de donner au ministère une marque de confiance et de préférence. Peut-être n’aurait-on pas pu l’amener, dans l’état où étaient les choses, à voter l’impôt sur la rente de M. Cochery ; mais voter contre l’impôt