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séparément par chaque puissance, puis collectivement par toutes, ce qui devait donner à leurs démarches plus d’autorité et d’efficacité. Les puissances ont conseillé à la Porte d’envoyer en Crète un gouverneur chrétien, de réunir sans délai l’Assemblée nationale et de s’inspirer de ses désirs en vue des réformes indispensables, enfin de proclamer une amnistie générale. À ces conditions, il y avait lieu d’espérer que l’insurrection prendrait fin.

Le sultan Abdul-Hamid est trop intelligent pour n’avoir pas compris ce que ces conseils avaient de sage et de désintéressé. La situation était grave ; elle menaçait tous les jours de le devenir davantage. Le désintéressement même de toutes les puissances, qui se manifestait par un accord complet entre elles toutes, ne devait pas être soumis à des tentations trop fortes, c’est-à-dire trop prolongées. Qui sait, en effet, s’il se serait maintenu jusqu’au bout ? Une fausse manœuvre de la part du sultan, une obstination déplacée, un refus d’adhésion inopportun auraient permis aux puissances de reprendre leur liberté. Abdul-Hamid l’a senti, et il a fait droit sur tous les points aux conseils qui lui étaient donnés. Il a commencé par nommer en Crète un gouverneur chrétien ; il a décidé que l’Assemblée nationale serait réunie immédiatement ; il a fait un peu plus de difficultés pour promettre l’amnistie générale, mais enfin il y a consenti. Dès lors, l’insurrection ne pouvait plus se poursuivre sans changer de caractère et sans prendre une allure purement révolutionnaire ; mais, du même coup, elle devait perdre les sympathies qu’elle avait, à certains égards, excitées en Europe. Quelques jours se sont passés, jours de véritable anxiété, pendant lesquels on a pu se demander comment les événemens tourneraient. Il y a dans toutes les insurrections des élémens très divers. S’il y en a de légitimes, il y en a qui ne le sont pas. S’il y en a de politiques, il y en a de violens. A côté des hommes qui se sont armés pour faire respecter leurs droits, il y en a d’autres qui l’ont fait pour violer le droit d’autrui. Les insurgés ont été livrés pendant quelques jours aux conseils des uns et des autres, et les suggestions imprudentes ont pris, comme il arrive toujours en pareil cas, un degré d’énergie de plus en plus pressant au moment décisif. En même temps les agences apportaient à l’Europe occidentale des nouvelles alarmantes. Heureusement, ces nouvelles ne correspondaient pas à la vérité. Soit qu’ils aient été éclairés par leur propre sagesse, soient qu’ils aient prévu l’abandon auquel ils s’exposeraient s’ils passaient outre, les insurgés ont prêté l’oreille aux propositions qui leur étaient faites. Leurs principaux chefs se sont réunis à Fré, dans l’Apokorona, et ils ont arrêté à l’unanimité des résolutions dont ils ont fait part officiellement au doyen du corps consulaire à la Canée, M. Gennadios, consul de Grèce. Une difficulté se présentait au sujet du mandat des membres de l’Assemblée nationale. Ce mandat est ancien. De plus, comme nous l’avons dit, les députés ne