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rapport à la population que nulle part ailleurs. Le standard of life, comme disent les Anglais, y est plus élevé, la vie plus large dans toutes les classes, si l’on en croit les statistiques de la consommation de certaines denrées : la viande, le sucre et autres. Enfin, malgré le léger lien qui les rattache à la monarchie anglaise, nulle part la démocratie n’est plus triomphante que dans les colonies Australiennes ; nulle part les innovations sociales n’ont été poussées plus loin, jusqu’à émanciper parfois la femme de sa traditionnelle minorité ; nulle part enfin l’extension des pouvoirs de l’Etat, dont on prétend nous montrer l’omnipotence au terme de l’évolution actuelle, n’a trouvé des champions plus puissans et n’a été mise en pratique à un pareil degré.

De là vient l’intérêt qui s’attache à l’étude de ces jeunes sociétés où toutes les aspirations modernes, durables ou éphémères, se font jour librement, beaucoup moins retenues qu’en Europe par les traditions du passé. Elles sont pour nous un véritable laboratoire de science sociale et l’observation des expériences auxquelles leurs habitans se livrent peut être singulièrement utile au vieux monde. Il importe toutefois de ne jamais perdre de vue la diversité des milieux, la différence entre cette terre vierge d’Australie où la civilisation a été implantée comme une bouture et la vieille Europe où elle a crû lentement, où ses racines plongent dans le plus lointain passé. Des essais plus ou moins heureux dans l’une pourraient être funestes à l’autre.


I

La faveur que les idées socialistes ont rencontrée en Australie surprend au premier abord. Sa sœur aînée, l’Amérique, a évolué jusqu’à ces derniers temps dans un sens tout opposé : l’individu y est plus vigoureux, l’Etat plus effacé que partout ailleurs. Cependant l’Australie semble plus essentiellement anglaise que les Etats-Unis : la part des élémens étrangers aux îles Britanniques dans sa colonisation est négligeable, et l’on sait que les Anglo-Saxons sont profondément individualistes : c’est d’eux que leurs neveux d’Amérique ont hérité, pour l’accentuer encore, la méfiance de l’État. Si les Australiens tendent, au contraire, à en augmenter sans cesse la part, c’est dans les circonstances de leur histoire, de leur rapide développement qu’il faut en chercher l’explication.

Il serait facile d’établir une opposition saisissante entre les premiers colons de l’Australie et ceux des Etats-Unis : d’un côté, les Pilgrimfathers de la Mayflower, les Puritains qui s’exilaient pour