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Ce qui faisait, pour les uns comme pour les autres, le fond de la religion, c’était l’appropriation d’un certain nombre de doctrines, extrinsèques à l’esprit du croyant, pieusement acceptées et subies ; c’est par la quantité des articles de foi, par la minutie ou par la sobriété du Credo, qu’entre eux ils se distinguaient, beaucoup plus que par une opposition de principes. L’une et l’autre écoles donnaient à la révélation chrétienne des airs de suivante ; elle était précédée, patronnée, tolérée par un terne et froid spiritualisme, par un intellectualisme desséchant, la philosophie de l’Aufklädrung ; opulente ou appauvrie, luxueuse ou court-vêtue, elle ne faisait qu’emboîter le pas ; elle n’intervenait qu’à titre d’escorte, de supplément, d’appendice. Enfin, « supranaturaliste » ou rationaliste, la dogmatique protestante n’aspirait point à l’homogénéité ; elle ne prétendait point à former un tout. Loci theologici : ainsi s’intitulaient les in-folio qui en contenaient l’exposé, et cette seule expression : Loci, en marquait le caractère fragmentaire ; on juxtaposait des chapitres de dogme, plutôt qu’on n’édifiait un ensemble. De part et d’autre, dans la révélation, on ne saisissait les secrets de Dieu que par morceaux détachés ; en vain additionnait-on ces morceaux, et les reliait-on, même, par des transitions adroites, ils gardaient, toujours, je ne sais quelle apparence de détails. Les disputes sur un maximum ou sur un minimum de dogmes excluent naturellement l’existence d’un système cohérent et harmonique. Lorsqu’une synthèse se laisse diminuer ou amputer, elle n’est plus qu’une collection, bientôt chaotique. Une conception religieuse ne conserve son unité vivante que moyennant une certaine arrogance, qui met sur les lèvres de ses adeptes cette terrible formule : Tout ou rien. Entre tout et rien, supposez une échelle : le « supranaturalisme » la montait, le rationalisme la descendait ; mais ils siégeaient tous deux sur la même échelle. La religion impliquait, pour tous, l’adhésion à un certain nombre de vérités dogmatiques, jugées objectives par tous ; on se querellait, surtout, sur le nombre de ces vérités. Les débats théologiques se résumaient en des questions de plus ou de moins, on marchandait avec la révélation chrétienne ; et si elle constellait encore de quelques lueurs les obscurités du problème religieux, elle n’avait plus ni les vertus réchauffantes d’un foyer ni les vertus illuminatrices d’une synthèse.

Un petit nombre de penseurs, Semler, Lessing, s’alarmèrent de cette décadence, dès le XVIIIe siècle. Il leur sembla que cette conception de la foi, et le genre de polémiques qui en résultaient ne pouvaient profiter au développement du christianisme dans les âmes. Entre la théologie et la religion, Semler distingua, lointain