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Ritschl ici vous arrête : le « comment » ne nous intéresse pas, réplique-t-il. Ce qu’est Dieu en soi, le miracle en soi, Christ en soi, la révélation en soi, qu’importe à l’âme religieuse ? De ces jugemens métaphysiques (Seinsurteile) elle n’a que faire. Ce que Dieu, Christ, la révélation et le miracle, sont pour votre âme à vous et pour mon âme à moi, voilà l’essentiel : ces notions ont pour vous une valeur subjective ; les jugemens par lesquels vous définissez cette valeur (Werthurteile), voilà l’important.

Est-il conforme à la loyauté religieuse, est-ce le fait d’une théologie de bon aloi, de ne point oser porter un Seinsurteil, c’est-à-dire, somme toute, de ne se point prononcer sur la réalité objective de Jésus, de la révélation et du miracle ? Nous n’avons point, pour notre part, à le discuter ici. Mais les croyans de l’école traditionnelle dénoncent cette théologie comme déloyale et maladive. Un de leurs interprètes les plus accrédités, M. le professeur Lemme, de Heidelberg, y signale « une religion nouvelle », et s’indigne que les vérités les plus élémentaires, les plus fondamentales, soient contestées par des hommes qui s’érigent en défenseurs du christianisme. Entre les disciples et les ennemis du ritschlianisme, les colloques sont vifs, mais brefs. « Vous manquez de franchise, disent ceux-ci. — Et vous d’intelligence », ripostent ceux-là. On ne peut jamais se flatter, en effet, d’avoir parfaitement compris la pensée de Ritschl.

Ses obscurités, d’ailleurs, lui sont peut-être une cause de succès : dans une église où les intelligences individuelles entretiennent avec la vérité religieuse des rapports singulièrement divers, on peut se demander si une théologie fondée sur l’équivoque et organisatrice de l’équivoque n’a pas quelque droit à se présenter comme un instrument d’unification, voire même d’édification, « Ce serait une bénédiction de Dieu, écrit l’un des disciples de Ritschl, que tous les théologiens contemporains, malgré le désaccord de leurs conceptions, se tinssent solidement attachés à la langue de la Bible et de la Réforme. Quiconque use de cette langue dans un sens loyal, même avec un malentendu ; quiconque emploie les mots de cette langue avec le ferme et vrai propos de leur être fidèle, les considérant comme les termes sacrés de la chrétienté, comme des expressions qu’il ne peut pas mettre de côté lors même qu’elles signifient pour lui autre chose que pour beaucoup d’âmes d’autrefois et d’aujourd’hui, même si elles signifient pour lui quelque chose d’inouï, que personne n’y aurait jamais découvert ; celui-là ne mérite pas d’être méprisé, il mérite reconnaissance pour sa piété. Cette langue est un trait d’union, comme la langue populaire. Elle neutralise pour l’âme