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des pauvres esclaves. Saint Vincent, qui l’avait préparé à cette tâche, a tracé de lui un portrait admirable dans une lettre à Jean Le Vacher (15 juillet 1653) :


C’est un jeune homme des plus accomplis de sa condition, parmi tous ceux que je connais. Sa vertu vous sera bientôt connue. Il n’est pas seulement sage, accort, vigilant et pieux, mais il est très capable pour les affaires et toujours prêt à s’employer pour le prochain. Il s’en va servir Dieu et les pauvres en Barbarie, nonobstant l’éloignement et les dangers du lieu et de la mer. Il quitte Paris, où il est avocat au Parlement, et ses parens, qui le chérissent beaucoup et qui ont tâché de l’arrêter par une abondance de larmes, de remontrances et d’industrie. Certes, son dégagement est admirable, dans l’âge où il est, dans la pureté d’intention qu’il apporte à ce voyage… De plus, il a tant de douceur pour tout le monde, tant de condescendance pour ses amis et de soumission pour son Dieu, que, voyant celle qu’il aura pour vous, vous serez obligé d’en avoir pour lui.


Les instructions que saint Vincent avait données à M. Husson comme règlement de vie pour lui et J. Le Vacher ne sont pas moins remarquables. Nous y relevons les articles suivans :


Ils devaient maintenir les marchands en parfaite union et leur rendre bonne et brève justice, s’assujettir aux lois du pays, à la religion — de laquelle ils ne disputeront jamais, ni ne diront rien pour la mépriser ; et enfin tenir registre de tous les esclaves, y compris ceux de la campagne, afin d’éviter les doubles emplois dans la distribution des secours.


Eh bien ! le croirait-on ? Un consul aussi parfait fut mal accueilli, tant d’abnégation fut méconnue. Les marchands français de Tunis refusèrent de lui payer les droits consulaires qui, en fait, ne servaient qu’à l’entretien modeste des Lazaristes et au soulagement des captifs. Le bey lui-même fut mécontent et, six ans après, sans forme de procès, chassa ignominieusement M. Husson. Le roi de France — et ce roi était Louis XIV — eut beau protester, exiger des réparations ; tout ce qu’il put obtenir, c’est qu’on remît les sceaux du consulat à Jean Le Vacher. Ce dernier les garda dix ans (1657-1666). Le bey de Tunis, d’ailleurs, ne ménagea guère plus le consul lazariste, et, le rendant responsable des sottises de ses nationaux, il l’expulsa deux fois. Quant à Le Vacher, avec un zèle qui n’avait d’égal que sa persévérance, il remplit les devoirs de consul, qui n’étaient pas une sinécure, car il y avait alors près de trois cents Français esclaves en Tunisie.

Mais c’est surtout comme prêtre que la charité de Jean Le Vacher aimait à s’exercer. Dès qu’on lui signalait des personnes en danger de mort ou des adolescens en péril de reniement, il accourait pour administrer les sacremens aux premiers, pour réconforter les seconds. Ce fut pour avoir empêché plusieurs