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allemands ! » C’était le cri du serbisme, tiré des profondeurs de l’atavisme politico-religieux ; et cette fois il retentit si fort que le ministère Novakovic enjoignit au missionnaire de quitter le territoire du royaume.

On comprend à ce trait combien les calculs de l’Autriche sont servis par les dissentimens religieux. Ce sont ces dissentimens surtout qui lui fraient, à travers les Slaves du sud, le chemin par où doivent passer ses intérêts politiques et économiques. Fidèle au principe de Metternich, qu’elle étend à sa guise, elle s’est même mêlée, par l’intermédiaire de son ambassadeur au Vatican, le comte Paar, à la question si éminemment ecclésiastique de l’introduction de la liturgie slave dans les églises catholiques de l’Albanie monténégrine. Le pape passa outre, ordonna l’impression des nouveaux livres liturgiques dans la typographie de la Propagande, et recommanda qu’ils fussent envoyés à l’archevêque d’Antivari, non sans avoir pris soin de les faire précéder d’une lettre autographe au prince Nicolas de Monténégro. L’influence autrichienne et la personnalité de Mgr Ledochowski, préfet de la Propagande et Polonais d’origine, seraient-elles étrangères à ce fait singulier que ni la lettre ni les livres ne sont parvenus à destination, avec cette différence que la première a disparu pour toujours, tandis que les autres ont été retrouvés par hasard chez le libraire Vodiczka, de Zara ?

Les Serbes ont donc bien tort d’appréhender, dans le cabinet de Vienne, le bras séculier du catholicisme : il l’est moins encore que le gouvernement français en Afrique et en Orient. En Bosnie, on a des égards touchans pour l’islamisme : dans la salle d’honneur du séminaire turc, fondé par l’Etat, une plaque de marbre rappelle qu’ainsi l’a voulu la munificence de Sa Majesté apostolique et très « chrétienne ». En somme, tout ce qui pourrait présenter le caractère d’un rôle moral, tout ce qui ressemblerait à une idée a été soigneusement éliminé par l’Autriche de sa politique dans les Balkans. Elle s’est installée avec la permission des diplomates et se maintient par la force des baïonnettes. Le levier ethnique qu’elle eût pu trouver chez les Croates, l’influence du catholicisme qu’il dépendait d’elle d’utiliser, lui ont paru des outils surannés, eu égard à l’œuvre positive dont le congrès de Berlin lui avait fourni le plan. L’avenir dira si cette conception est, au sens profond du mot, politique ; si elle tient suffisamment compte de l’évolution qui s’opère dans la péninsule, hier sorte de bagne ottoman, aujourd’hui laboratoire d’idées.