Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 137.djvu/105

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la Bosnie-Herzégovine ne trouverait des résignés. Et dans cette dernière capitale, tout justement, en réponse au toast officiel du roi de Serbie, le prince Nicolas prononçait, l’autre jour, ces paroles significatives : « Notre nation serbe est sage et juste. Elle ne tend pas au bien des autres. Elle ne demande que ce qui lui appartient. Car c’est elle qui a prononcé : Bien volé, bien maudit. » — Mais cette allusion résolue, qui se ressent des progrès réalisés, depuis six mois, par la politique russe dans les Balkans, va, du moins, à son adresse : elle n’est pas dirigée de biais contre des frères de race, irresponsables, après tout, de l’invasion du germanisme en Bosnie, et bien plus victimes que collaborateurs de la politique triplicienne.

Une pensée plus haute encore devrait dominer ce débat, en chasser les archaïsmes, ou plutôt sélectionner, dans la tradition, ce qui resserre à la place de ce qui divise : la nécessité de travailler, même par avance et de loin, à l’unité balkanique. Et c’est un travail non d’imagination, mais d’attention, qui guide en quelque sorte ses ouvriers, en ce sens que telle se présente la phase, tel doit être aussi leur labeur. Or, pour entrer dans les habitudes de comparaison familières aux Slaves, la phase « piémontaise » n’est pas encore commencée. Celui-là surtout le comprend, littérateur ou poète, qui pousse à l’éducation progressive de la race, dans ses cadres actuels, jusqu’à ce qu’une guerre les ait brisés ; qui, proclamant, et avec raison, les Serbes et les Croates la « moelle » des Balkans, cherche à substituer un concept plus général à l’idéalisation de leurs « missions » respectives. Il est, au fond, politique, ce Preradovic, qui s’est permis d’écrire, inspiré par la grande querelle :


A u cielom svietu neka spomen bude
Da su de dva brata bili dvie lude.

Et qu’on se souvienne par tout le monde Que deux frères étaient deux sots.


Et ce distique irrévérencieux n’est que l’envers de la pensée maîtresse des Razgovori, le chef-d’œuvre de Kacic, dont on a pu dire : « C’est un monument bâti sur la vérité, le symbole de l’unité des Balkans. On y célèbre les bans croates, les despotes serbes, les chefs bulgares, les princes de Zeta. La note dominante est balkanique ; l’idée géographique s’est identifiée avec l’idée nationale et rappelle Alexandre le Grand. Evocation dont le sens est à la fois tendre et profond, car, dans nos veines, mêlé de sang slave, coule une goutte de sang illyrique et macédonien[1]. »

  1. Bogdanov.