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déclarations de principes sur la reprise par la société de la propriété de la terre et des moyens de production. Ainsi le shiboleth collectiviste est sur les lèvres des anciens champions de l’individualisme. Saül est avec les Prophètes. Sur le continent maintenant, chaque fois qu’il y a un Congrès international ou une conférence industrielle, à côté des figures connues de nos propres socialistes, on voit les Anglais. Ils pratiquent l’internationalisme : c’est la meilleure preuve de leur conversion. Ils acceptent la solidarité d’un socialisme souvent bien primitif : c’est le meilleur moyen de démontrer qu’ils n’ont plus peur de l’ombre des principes. Non pas que la fusion soit complète. Toujours on distingue du premier coup d’œil l’élément britannique de l’élément continental. Dans la mise, dans l’allure, dans la façon d’être et de se tenir, dans le geste et le tour de tête, il y a un je ne sais quoi qui met à part les insulaires. Volontiers les socialistes d’autre part, qui subissent à contre-cœur l’influence de ces associés, si différens d’eux, se plaignent de leur hauteur, de leur intolérance, de leur dédain des droits d’autrui. Il faut toutefois avoir le regard peu pénétrant et voir les choses bien en gros pour ne pas démêler d’énormes différences entre ces Anglais eux-mêmes. L’ancien chef trade-unionniste, passé député ouvrier depuis longtemps, jadis maçon de son métier ou mineur, depuis lors sous-secrétaire d’État à l’intérieur, ne ressemble guère, on en conviendra, au guérillero du néo-unionnisme, candidat perpétuel du parti ouvrier indépendant, ou même alderman du conseil de comté de Londres. Le premier a l’air d’un fermier enrichi, il a la physionomie paisible et prospère ; si quelque part, dans un coin de sa conscience, il demeure quelque petit souvenir des attentats jadis commandés ou commis, — avant la grande commission d’enquête et la reconnaissance légale, — au nom des unions, il n’y paraît guère. C’est un libéral orthodoxe, il vote au doigt et à l’œil ; le premier craquement du fouet du whip le ramène, et s’il flirte avec le socialisme, s’il consent à siéger coude à coude avec quelque révolutionnaire à l’aspect patibulaire, c’est qu’il faut bien ménager sa popularité et que le métier a ses charges comme ses revenans-bons. Tous, du reste, ne le font pas. Je n’ai pas ouï dire que M. Broadhurst ait franchi le seuil de Queen’s Hall. Les Sam Wood et autres grands chefs mineurs ont observé une prudente réserve. Quant à M. John Burns, il est en train de s’assagir trop rapidement pour commettre la faute de descendre spontanément dans la Fosse aux Lions.

D’autres pourtant, parmi les modérés, avaient cru devoir faire acte de présence au Congrès. Les Trades Unions y ont été largement représentées. Près de 200 de leurs délégués y siégeaient.