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Il se laisse absorber par les rivalités des partis politiques. Quand il se constitue à l’état séparé pour la défense de ses intérêts, il ne sait pas se décider entre la simple contiguïté locale et la solidarité professionnelle. Aux sobres réalités des syndicats il associe volontiers les puérilités des sociétés secrètes ou le clinquant des chevaliers du travail. Aussi bien, piètre délégation où quelques béjaunes aux cheveux longs, dont l’un prononça un réquisitoire ridiculement emphatique contre ce qu’il lui plut d’appeler la mélasse bourgeoise, faisaient vis-à-vis à un bataillon sacré de femmes, qui n’étaient pas toutes jeunes ni jolies, et dont le capitaine en jupons, Mme Stanton Blatch, la fille d’Elisabeth Stanton, lança une fois au congrès ébahi cette apostrophe vibrante : « Le sens commun a-t-il, ou non, la parole ici ? »

La délégation allemande vaudrait assurément qu’on s’y arrêtât, si elle n’était trop connue. Qui ne sait qu’au bon pays d’Allemagne, malgré la gloire militaire, la constitution de l’empire, l’hégémonie européenne et la prospérité commerciale, en dépit de douze ans d’état de siège et de quelques années de socialisme d’Etat, nonobstant les messages et les lois de Guillaume Ier, la poigne du prince de Bismarck, et les velléités contradictoires de Guillaume II, — le parti démocrate-socialiste n’a cessé de grandir jusqu’à être aujourd’hui le premier par le nombre des suffrages émis aux élections pour le Reichstag ? Qui n’a présente à l’esprit cette prodigieuse, cette effrayante progression depuis les premières élections pour le Reichstag jusqu’aux dernières, faisant passer de cent mille à deux millions le total des voix socialistes ? Le trio dirigeant, MM. Bebel, Liebknecht et Singer, deux anciens ouvriers et un riche patron, deux chrétiens d’origine et un juif, trois têtes dans un bonnet, l’un des plus merveilleux exemples de concorde politique, tout cela est bien connu. On sait l’admirable discipline du parti ; comment la fraction ou groupe parlementaire y est strictement subordonnée au Congrès et au Comité ; comment tout marche, propagande, publicité, élections, au doigt et à l’œil ; comment de plus en plus les rangs de l’état-major du Reichstag et de la presse se recrutent dans le prolétariat intellectuel, parmi les docteurs en philosophie qui jadis auraient trouvé quelque modeste emploi dans le service des innombrables États in-12 ou in-18 de l’Allemagne décentralisée. On sait la lutte entre l’Allemagne du nord et l’Allemagne du midi, comment Vollmar et Grillenberger, Bavarois dans l’âme, l’ont transplantée au sein du socialisme ; comment l’anarchie, legs de l’ancien compagnon et député Moss, a engagé une guerre à mort contre la démocratie socialiste et ses pontifes ; comment le