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socialiste allemande, s’emparant du suffrage universel, eût forcé la porte du Reichstag, le socialiste appelé à exercer son droit de vote pouvait se demander avec quelque apparence de raison s’il était bien utile d’apporter son contingent au radicalisme. Sans doute, en 1848, dans le premier bouillonnement du suffrage universel, un certain nombre de socialistes avaient franchi comme tels l’enceinte des Assemblées. Si cette expérience s’était renouvelée, il est permis de croire que les hésitations n’auraient pas été si longues ni les scrupules si difficiles à vaincre. Quand, en 1867, le Congrès de Lausanne discutait la question de savoir s’il fallait se maintenir sur le terrain purement économique ou faire cause commune avec cette portion de la bourgeoisie qui poursuit, au besoin par la révolution, les réformes politiques et l’établissement de la république ; — les termes mêmes employés indiquaient assez la vraie nature de la répugnance éprouvée. Déjà alors pourtant la force des choses l’emportait sur ces craintes. On votait, malgré Karl Marx, l’inséparabilité de l’émancipation sociale et de l’émancipation politique ; on intervenait en fait dans la politique à chaque instant, — par exemple, quand à la veille de cette guerre de 1870 dont les résultats immédiats devaient être l’écrasement de la première Internationale, mais dont les conséquences lointaines devaient être si favorables au socialisme cosmopolite, on protestait des deux côtés du Rhin contre une lutte fratricide.

A bien plus forte raison doit-il en être ainsi depuis l’avènement d’un parti socialiste dans presque tous les Parlemens du monde. Il ne s’agit donc plus de travailler pour autrui. Plus de Sic vos non vobis. Le socialiste ne se sent plus en politique un simple prolétaire dont les produits sont interceptés et confisqués par un radical quelconque. C’est proprement l’ère de l’association aux bénéfices politiques. Ou plutôt, à l’inverse d’autrefois, s’il est un parti qui ait l’air de se donner du mal pour le profit d’autrui, à cette heure, c’est le radicalisme bourgeois. Il sert de fourrier et de maréchal des logis au socialisme en marche. Il lui marque ses logemens. Il se charge de lui frayer les voies et de lui ouvrir les portes. S’il lui arrive encore d’être appelé au pouvoir, il sait fort bien de qui il est le mandataire et le gérant, au nom de qui il doit gouverner et où siègent ses vrais maîtres. Juste retour des choses d’ici-bas ! longtemps le radicalisme exploita les forces de la démocratie socialiste, détourna son courant pour faire tourner — souvent à vide — les roues de son moulin, se fit faire la courte échelle pour escalader les régions du pouvoir : aujourd’hui impuissant, discrédité, il ne peut plus subsister qu’à condition de venir,