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dans sa thèse, il affecte de ne voir en elles que des drames et prétend « qu’elles ne sauraient être comprises si on les considère comme de la musique pure. » C’est cependant bien là ce qu’elles sont et ce que le maître lui-même, — il l’a affirmé plus d’une fois dans les termes les plus formels, — a voulu qu’elles fussent uniquement. Cette négation si gratuite de la musique pure qu’en d’autres endroits Wagner qualifie chez Beethoven d’ « erreur nécessaire », est tout à fait surprenante de la part d’un admirateur du grand symphoniste et montre à quel point ses préoccupations personnelles dictaient ses jugemens. Aussi, à côté de considérations justes, ingénieuses, parfois même élevées, qui dénotent un esprit très délié et très pénétrant, les ambiguïtés, les obscurités volontaires ou inconscientes abondent dans ces pages trop souvent inspirées par un parti pris systématique qui tour à tour porte l’écrivain à se couvrir de l’autorité des maîtres quand elle peut servir à sa glorification, ou à méconnaître leurs chefs-d’œuvre quand il pense donner plus de prix à ses propres tentatives. Ces contradictions qu’il est aisé de relever dans la plupart des ouvrages littéraires du critique, expliquent assez les interprétations si diverses, si opposées, qui ont pu être données de la doctrine et du programme de Wagner, chacun pouvant ainsi, de la meilleure foi du monde, se prévaloir de la multiplicité de ses professions de foi. Au surplus, comme s’il avait à cœur de décourager des adeptes dont, vers la fin de sa vie, il trouvait le zèle excessif et l’enthousiasme compromettant, il les désavouait par avance. Devenu moins wagnérien que ses disciples, il déclarait « n’être jamais parvenu à découvrir sa propre tendance », et avec une candeur touchante il conseillait aux jeunes musiciens « d’éviter toutes les écoles et en particulier la sienne[1]. »

Le conseil n’était pas inutile. Si peu modeste que fût Wagner, l’influence exercée par lui sur le goût musical de notre époque a certainement dépassé son attente. En même temps qu’il portait le coup de grâce, — et assurément personne ne songerait à s’en plaindre, — aux formules consacrées et aux conventions vieillottes de l’opéra de recette, taillé sur le patron traditionnel, il a eu prise non seulement sur ceux qui n’aiment plus que sa musique, mais même sur des gens qui ne l’aiment guère, pour les dégoûter de la musique des autres et leur faire paraître fades et monotones des œuvres auxquelles ils se délectaient auparavant. Mais par une juste réciprocité, tous ceux qui recherchent encore dans l’art les qualités d’ordre, de mesure, de proportion et de beauté, tous ceux qui savent ce que valent la simplicité, le goût, le naturel et

  1. La doctrine artistique de Richard Wagner, par M. Houston Stewart Chamberlain. Revue des Deux Mondes, 15 octobre 1895.