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ramener à un type uniforme, le culte des hauts lieux. Un tertre naturel ou artificiel, avec une plate-forme sur laquelle on adore la divinité. Au fond, c’est une réduction du culte des montagnes qui tient une si grande place dans les religions orientales ; qu’elles s’appellent Sinaï, Carmel, rocher sacré de la montagne de Sion, l’idée est toujours la même. Le dieu est représenté le plus souvent sous une forme rudimentaire et grossière : un cône, une pyramide, une pierre qui se dresse en l’air, un hermès, c’est-à-dire une pierre qui est un dieu. Il ne faut donc pas s’attendre à trouver sur les hauts lieux le temple à la façon des Grecs et des Romains. Un espace consacré, à ciel ouvert, avec une arche contenant l’image de la divinité, parfois recouverte d’une tente, et, par devant, un autel et quelques symboles sacrés qui participent de la divinité du dieu, voilà tout l’appareil du culte. C’est le type du sanctuaire que nous ont révélé dans ces dernières années les fouilles pratiquées dans l’Afrique romaine. Le sanctuaire d’Aïn-Tounga, celui du Baal-Carnensis, déblayé par M. Toutain, n’étaient pas faits de différente façon.

On croirait y être transporté en lisant la description que fait Pausanias du sanctuaire de Zeus Lykaios sur le mont Lycée : « Sur la plus haute pointe du Lycée est un tertre de terre : c’est l’autel de Zeus Lykaios. De là, on aperçoit presque tout le Péloponèse. Devant l’autel, deux colonnes se dressent, presque dans la direction du soleil levant ; des aigles avaient été gravés sur elles, mais à la mode très ancienne, et ils étaient dorés. C’est sur cet autel que l’on fait à Zeus Lykaios de mystérieux sacrifices. » Ainsi, un autel à ciel découvert et deux colonnes sur lesquelles deux aigles sont gravés « à la mode très ancienne », voilà ce dont se compose le sanctuaire.

Ces deux colonnes qui ont frappé Pausanias, et sur lesquelles il insiste à ce point, nous ramènent aux cultes de la côte de Syrie, dont elles sont un des élémens essentiels ; elles sont le symbole divin par excellence, l’image même de la divinité. Quand Hérodote visita le temple de Melkart à Tyr, il fut surpris d’y voir deux stèles, l’une d’or fin, l’autre d’émeraude, qui brillait durant les nuits, comme la colonne de fumée des Hébreux qui devenait colonne de feu pendant la nuit. Partout où nous trouvons le culte de Melkart, il se reconnaît à cette double colonne. A Malte, ce sont ces deux colonnes identiques de forme conique, rappelant la massue d’Hercule, dont les bases portent une même dédicace phénicienne et grecque à Melkart Baal de Tyr, en grec Héraklès Archégète. A Gadès, dans le temple d’Héraclès, on voyait deux colonnes de bronze, de huit coudées, et quelques-uns prétendaient même que c’était de là qu’était venu le nom des Colonnes