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Carthaginois dans leurs fêtes de Kronos font en commun des sacrifices humains ; bien plus, à certaines époques périodiques ils vont jusqu’à arroser l’autel du sang des leurs. » C’est ce que Pausanias exprimait d’une façon mythique lorsqu’il disait au commencement de ses Arcadiques : « Lycaon, fils de Pelasgos, porta sur l’autel de Zeus un enfant nouveau-né, le sacrifia et arrosa l’autel avec le sang. » S’il emploie, lorsqu’il parle de son temps, un langage plus énigmatique, c’est à cause de cette sorte de pudeur qu’on a de parler de certaines choses autrement que par euphémismes. Comme l’auteur de l’histoire de Jephté, on laisse planer un voile de mystère sur l’horreur de certains actes sacrés. Et Pausanias ajoute : « Je n’ai pas eu envie d’approfondir la chose ; qu’il en soit ce qu’il est et ce qu’il a toujours été. »

En Achaïe, les Patréens étaient, d’après une ancienne tradition, assujettis à une pratique analogue, et les sacrifices d’enfans ne devaient cesser chez eux que quand un roi étranger apporterait un dieu étranger. Or, après la prise de Troie, Eurypylos reçut comme butin un coffre, — nous dirions dans le langage biblique une arche, — dans lequel était enfermée la statue d’Héphaistos. L’ayant ouvert pour voir ce qu’il contenait, il fut frappé de folie, et un oracle lui dit qu’il recouvrerait la raison en consacrant cette arche en un lieu où l’on ferait des sacrifices étrangers. Il arrive à Patræ ; du même coup les sacrifices humains prirent fin ; les enfans libérés se rendirent pour célébrer leur délivrance dans le temple d’Aisymnètès, et le fleuve qui s’appelait auparavant Ameilichos « l’implacable », reçut le nom de Meilichos. Tout est à noter dans cette légende : les sacrifices humains appelés sacrifices étrangers et rattachés à un culte étranger ; cette arche sainte qui renferme l’image du dieu ; son propriétaire frappé de folie pour l’avoir ouverte, comme les gens de Beth-Semes qui sont frappés d’une plaie mortelle pour avoir regardé à l’intérieur de l’arche de Jéhovah ; enfin le nom de Meilichos, autour duquel tourne toute la légende, et qui nous a conservé, comme son homonyme le Milichus libyen, comme la Mulucha de Maurétanie, le nom à peine altéré du dieu Moloch ; les fleuves sont un des grands véhicules des noms divins. Il n’est pas jusqu’au temple d’Aisymnètès qui ne nous rappelle Echmoun, le dieu guérisseur, le grand libérateur, de même que l’Isménos, ce fleuve de Béotie, qu’Hésychius appelle le « pied de Cadmus », et près duquel se trouvait l’ismenion, le temple d’Apollon Ismène.

Comme le dieu de Patræ, le Zeus Lykaios, ou, si l’on aime mieux, le Baal Louki devait appartenir à la famille des Molochs. Au reste, le grand dieu des Phéniciens avait encore d’autres sanctuaires en Grèce. Il est difficile de ne pas le reconnaître