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remis au travail, mais quand il raconte cet acte de vandalisme, sa voix tremble légèrement. Il ne comprendra jamais que des hommes aient pu s’acharner sur son œuvre inoffensive.

Il y avait mis ses observations de savant et son âme de voyageur épris des vastes solitudes, car, enfin, il ne faut pas s’imaginer que le désert soit la chose horrible et monotone qui effraie nos esprits casaniers. Le désert a des beautés d’océan ; son silence prend le cœur aussi bien que le chant des vagues. Il n’est point horrible, sinon de cette horreur sacrée, qui, à de certaines heures, nous fait tressaillir et nous purifie. Il n’est point monotone, car les surprises vous y guettent, et les merveilles qui y dorment en font une embuscade d’enchantemens. Le croyant s’y sent plus près de Dieu ; le voyageur repose avec sérénité sous la marche des astres ; le savant se trouve face à face avec la science et son rêve. Les bruits humains ne traversent plus le recueillement de sa pensée. Toutes les rumeurs qu’il écoute sont autant d’indices qui lui révèlent les premiers mots de l’énigme. Toutes les pierres que le soleil allume sont autant de jalons d’aurore plantés sur la piste du mystère. Le caillou, qu’il heurte du pied, l’avertit de sa route : il se penche, le saisit, le flaire, le brise, en interroge les éclats. « Or, argent, plomb, cuivre ou fer, qu’es-tu ? Parle. Comment te trouves-tu ici ? D’où as-tu roulé ? Tu n’as pu venir de la montagne, mais le vent t’a peut-être détaché de cette roche que j’aperçois plus près. Oui certes ! Voici tes frères, dont le chapelet s’égrène devant mes pas. » Et il va, il monte, descend, escalade, son bâton dans une main, son petit marteau dans l’autre. Son hallucination est là sous ses pieds, ou plus loin, mais elle existe quelque part. Toutes les pierres du désert ont une âme, une âme qui chante de l’aube au couchant. Elles vivent, lumières pétrifiées, elles appellent l’homme, le fascinent, l’éblouissent et, comme elles le trompent souvent, il les adore. Et quelle ivresse, quand il a déchiffré leur aveu, quand il explore, sans les voir, des richesses souterraines, quand son hypothèse, s’enfonçant sous terre, y enserre l’obscure végétation de l’empire minéral ! Et surtout quelle ivresse, si elle est désintéressée, si l’homme, qui l’éprouve, peut adresser à la nature cette invocation : « Bonne mère, je ne viens point pour te dépouiller ni déchirer tes entrailles, ni faire surgir autour de tes plaies les mille faces injectées de l’avarice humaine. Je n’ai d’autre passion que de te mieux aimer en te connaissant mieux et de célébrer partout tes inépuisables trésors. »

Ce père de famille, grisonnant, doux, méticuleux, actif, qui, au milieu des fournaises et du fracas de Playa-Blanca, poursuit son travail de savant sous la double lumière de la modestie et